Courrier des lecteurs

De notre discordance idéo-praxique

Publié le 01/06/2017
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La majorité des praticiens – médecins, chirurgiens – a proclamé avant même le premier tour de l'élection présidentielle, concernant le second tour, son choix pour le candidat dit « Humaniste, Humanitaire », face à la candidate dite « Identitaire, Exclusive ».

De ce fait, les confrères et consœurs défendent le maintien en l'état de l'Aide médicale d'État (AME) accordée aux personnes n'ayant pas le droit de séjour.

Il est évident qu'au-delà de l'engagement professionnel médical et humain inhérent à l'exercice, cette attitude est moralement naturelle, tant sur le plan humanitaire (conception laïque) que sur le plan caritatif (conception spirituelle), spécialement face à des situations d'urgence vitale.

Mais on se doit, en la matière, de mettre en évidence une démarche de la part de bon nombre de confrères et consœurs, qui est du type « discordance idéo-praxique ».

En effet, dans notre milieu professionnel (praticiens et syndicats), il y a toujours eu, bien avant l'apparition de la « loi Touraine » concernant le tiers payant généralisé, une opposition farouche au concept et à la pratique du tiers payant quelle que soit sa forme : CMU complémentaire (CMU-C) et déjà à l'époque AME, comme d'autres modalités telles les ALD – la possibilité de tiers payant pour les ALD existait avant même 2012 (je suis retraité depuis 2012).

Le motif invoqué n'étant pas alors la complexité du recouvrement mais l'absence, parfois, de règlement par les caisses – à noter que le pourcentage d'actes impayés « en direct » est parfois supérieur…

Or actuellement, les praticiens dans leur ensemble restent toujours opposés au tiers payant, même non généralisé, quand bien même l'acte est couvert à 100 % par la CPAM : il y a là, compte tenu de la proclamation humanitaire, caritative, sociale, une dissociation surprenante. C'est ce que l'on dénomme « la discordance idéo-praxique ».

Notons que le candidat choisi par nos confrères vise l'extension du tiers payant (actes de prévention, de dépistage, de suivis systématiques, ALD, CMU-C et AME…) mais sans généralisation totale. La prise de position est assez adaptée aux conditions médico-économiques ; mais même l'extension est réfutée par les praticiens (cf. discordance idéo-praxique).

La candidate identitaire est restée sur des positions plus traditionnelles quant au tiers payant : seule l'extension aux ALD et aux cas sociaux limites a été évoquée.

Certes, il est vrai que la question des complémentaires est une réelle difficulté. Mais pourquoi donc être en opposition constante lorsqu'il s'agit de proposer une extension pour les actes de base couverts, dès lors, à 100 % ?

Par ailleurs, il n'y a pas de justification à accorder un tiers payant total pour un traitement anti-rides…

Il est flagrant que nous, praticiens médicaux, n'ayant eu qu'une brève formation philosophique lors de la terminale de nos études secondaires, nous manquons de discernement par insuffisance de démarche dialectique, ce qui amène à verser dans « la casuistique ». 

Dr Bernard Duez, Nogent-sur-Oise (60)

Source : Le Quotidien du médecin: 9585