CONTRIBUTION - Nous regrettons que le débat sur le bilan de la politique de santé du quinquennat avant la crise de la Covid-19, soit abordé dans « Le Quotidien du Médecin » par une « contribution » de cinq collègues chirurgiens académiciens nous accusant d’avoir publié dans le Journal du Dimanche une « tribune truffée d’erreurs qui n’avait d’autre but que de salir une ministre… », sans toutefois citer aucune de nos prétendues erreurs (l’un d’eux nous a depuis communiqué que sa signature était « une erreur »). Notre courte tribune dans le JDD n’avait pas pour objet de faire un bilan exhaustif de l’action d’Agnès Buzyn mais de dénoncer sa mise en examen que nous jugions « totalement surréaliste ». Nous prédisions d’ailleurs « comme hautement probable qu’à la suite de la procédure judiciaire exceptionnelle de la Cour de justice de la République, Agnès Buzyn sera relaxée ».
Notre propos était d’expliquer qu’en l’occurrence le jugement de la politique de santé de la ministre relevait, non de la justice mais du seul débat démocratique. Et contrairement à la contribution « des cinq » dressant un bilan très positif sans la moindre réserve, nous proposions l’ébauche d’un bilan contrasté. Nous avions cité « au moins deux décisions positives » (l’obligation des onze vaccins et le non-remboursement de l’homéopathie) particulièrement significatives dans le contexte actuel de résistance à la vaccination et de promotion de thérapies non validées. Et nous formulions « au moins deux critiques majeures » : d’une part la poursuite de la politique du sous financement de l’hôpital et de son management bureaucratico-commercial et d’autre part l’absence de « volonté politique du Premier ministre Édouard Philippe » d’imposer à l’industrie l’existence de stocks stratégiques de médicaments et de dispositifs médicaux indispensables.
Continuité d'un quinquennat l'autre
Cela dit, la situation sanitaire et le contexte électoral rendent opportun un vrai débat démocratique et non judiciaire sur les leçons de la pandémie et sur le bilan de l’action ministérielle qui l’a précédée. Nous retenons deux décisions novatrices importantes : la PMA pour toutes et la fin du numerus clausus. Mais contrairement aux cinq qui vouent aux gémonies les années de « léthargie » et de « dogmatisme » de Marisol Touraine, nous pensons que l’action d’Agnès Buzyn a surtout été marquée par la continuité.
Ainsi, comme nous le disions dans notre tribune, la politique de l’ONDAM contraint et de la T2A aux tarifs flottants a été poursuivie sans rupture avec une baisse initiale injustifiée des tarifs de 0,5 % en 2018 (A. Buzyn) après une baisse injustifiée de 1 % en 2017 (M. Touraine) suivant des baisses continues depuis 2010. Ces décisions de baisse tarifaire ont toujours en réalité été prises par Bercy.
Il a fallu des mouvements sociaux importants des soignants pour que soient élaborés en catastrophe des plans successifs pour la psychiatrie, pour les urgences, pour les EHPAD et pour l’hôpital. C’est sous la pression du mouvement des hospitaliers et notamment de l’importante manifestation du 14 novembre 2019 que le gouvernement a été contraint de majorer l’augmentation de l’ONDAM hospitalier de 2020, déjà adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, en la faisant passer de 2,1 % à 2,5 % (alors même que l’augmentation prévisionnelle des besoins était estimée par la Direction de la Sécurité Sociale à 3,1 %).
Un certain nombre de décisions positives relèvent aussi de la continuité. Ainsi les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été instituées par la loi de 2016 de Modernisation du système de santé de Marisol Touraine dont le rapporteur était un certain Olivier Véran. C’est aussi la loi Touraine qui a institué le statut d’infirmière de pratique avancée (IPA) dont le décret d’application date de 2018. De même l’article 51 qui permet d’expérimenter des formes nouvelles de financement a été mis en œuvre par Nicolas Revel, ancien Secrétaire général adjoint de l’Élysée sous François Hollande, devenu directeur de la CNAM sous Emmanuel Macron et par Raymond Lemoign, 4e Directeur de cabinet de Marisol Touraine devenu 2e Directeur de cabinet d’Agnès Buzyn.
Quant au « reste à charge nul » pour le dentaire, l’optique et l’audition, il représente certes une avancée mais il mériterait d’être évalué objectivement car il ne concerne qu’un « panier de soin » défini et surtout, il est financé par l’augmentation des primes des « assurances complémentaires santé » de 4,3 % en 2021 après 5 % en 2020 et 4 % en 2019. Là encore, on ne peut que souligner la continuité avec la politique de François Hollande ayant créé l’assurance santé complémentaire collective obligatoire pour les salariés du privé.
D’un quinquennat à l’autre, ces assurances santé privées « complémentaires » occupent une place de plus en plus grande pour la prise en charge des soins courants au détriment de la Sécurité sociale, alors qu’elles sont moins égalitaires, moins solidaires et plus chères avec 7,5 Mds de frais de gestion contre 7,3 Mds pour la Sécurité sociale qui rembourse près de 80 % des frais médicaux quand les complémentaires n’en remboursent que 13 %.
Bref, si on veut dresser un bilan des politiques de santé suivie depuis 15 ans, il faut le faire sérieusement sans disqualifier ceux qui ne pensent pas comme vous, en les accusant de mensonges. Il est vrai toutefois qu’en matière de fake news, notre collègue Guy Vallancien est un expert bien connu puisqu’il vient d’être choisi par le président pour participer à la commission de lutte contre la désinformation.
(*) Agnès Buzyn, un bilan très positif pour le système de santé
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
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