La sortie simultanée des recommandations américaines (1), et européennes (2), permet, pour la première fois, de mesurer à quel point les choix restent arbitraires, puisque, à partir de l’analyse d’une même littérature, et avec des experts qui partagent beaucoup, on aboutit à des propositions nettement différentes. Certes, les versions précédentes comportaient déjà des différences, mais celles-ci étaient moins tranchées, et pouvaient en partie être rattachées à l’évolution des connaissances pendant les années qui avaient séparé ces recommandations (les américaines dataient de 2005, les européennes de 2009). Cette fois, cette explication ne tient pas, puisqu’elles ont été conçues, et publiées, simultanément.
Cotrimoxazole fortes doses + clindamycine : un choix européen surprenant
Ce qui frappe le plus, dans les recommandations européennes, c’est la promotion, au rang d’alternative – indépendamment de l’existence d’intolérance, d’allergie ou de résistance – de la combinaison triméthoprime-sulfaméthoxazole à fortes doses (960 mg/j de triméthoprime, 4 800 mg/j de sulfaméthoxazole) pendant 6 semaines, et de la clindamycine (1 800 mg/j) pendant 1 semaine, pour le traitement des endocardites à Staphylococcus aureus sur valves natives.
Cette association, qui n’est même pas mentionnée dans les recommandations américaines, serait justifiée, selon les recommandations européennes, par l’avis favorable de certains experts, avec comme référence une étude monocentrique observationnelle de 31 cas publiée sous forme de lettre en 2013 (3). Pourtant, deux études randomisées portant sur de plus grands effectifs suggèrent fortement que le cotrimoxazole est moins efficace que la vancomycine dans les bactériémies à S. aureus (4, 5), tandis que le traitement des endocardites par la clindamycine pourrait être associé à un risque majoré de rechute précoce par sélection de résistance (6). Par ailleurs, l’hématotoxicité potentielle de 6 semaines de triméthoprime-sulfaméthoxazole à des doses aussi élevées (l’équivalent des posologies préconisées dans le traitement curatif des pneumocystoses, mais sur une durée deux fois plus longue), n’est mentionnée ni dans la publication princeps de ce schéma (3), ni dans les recommandations (2), alors qu’elle n’est certainement pas négligeable, si on considère le profil de tolérance de cette association.
Une « équipe endocardite » à concrétiser
Paradoxalement, bien que les recommandations européennes 2015 insistent, tout comme les recommandations américaines 2015, sur l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire de chaque cas par une « endocarditis team », composée notamment de cardiologues, chirurgiens cardiaques, infectiologues, microbiologistes, et anesthésistes, il faut souligner la forte prédominance des disciplines cardiologiques parmi les auteurs de ces nouvelles recommandations qui, contrairement aux recommandations européennes 2009 et aux recommandations américaines 2015, n’ont pas été approuvées par une société de maladies infectieuses.
Ce qui explique peut-être le poids accordé à la combinaison cotrimoxazole fortes doses-clindamycine dans le traitement des endocardites à S. aureus malgré un niveau de preuve très limité, et des raisons sérieuses de s’en méfier.
Endocardites communautaires
L’autre zone de démarcation nette entre les recommandations européennes et américaines concerne le traitement empirique des endocardites communautaires, qui devient pénicilline A (ampicilline, 12 g/j) + pénicilline M (cloxa- ou oxacilline, 12 g/j) + gentamicine (3 mg/kg/j) dans les recommandations européennes 2015 [2], alors que ce traitement reposait sur la combinaison amoxicilline-clavulanate ou ampicilline-sulbactam (12 g/j) + gentamicine (3 mg/kg/j) dans les recommandations 2009 (7).
Ce changement est accompagné d’une seule référence : une étude rétrospective de cohorte qui suggère que le traitement des bactériémies à S. aureus multisensibles par bêtalactamines antistaphylococciques (cloxacilline ou céfazoline ; n = 131), serait associé à une meilleure survie que le traitement par une association bêtalactamine-inhibiteur de bêtalactamases (n = 98) (8).
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