LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Comment Expertise France est-elle intervenue dans la lutte contre l'épidémie de virus Ebola ?
Dr GILLES RAGUIN : Lorsque la communauté internationale s’est alarmée de la situation en matière d’Ebola, nous avons été mandatés pour réaliser des projets sur financements français et européens, prioritairement en Guinée. Hors les armées et les ONG, peu d’organisations sont structurées pour la vraie urgence. Nous avons donc fait du per-urgence, en contribuant à la mise en place des laboratoires mobiles.
En mai 2015, le camion Euwam-Lab, financé par l'Union européenne et mis en opération par l'Institut Pasteur et l'INSERM, a pris les routes de Guinée, en allant de site en site. Et sur financement français, les laboratoires mobiles K-Plan, transportables dans des caisses, ont permis depuis février 2015 de réaliser le diagnostic d'Ebola auprès des centres de traitement en Guinée forestière, puis dans le sud de la Guinée côtière.
J'ai remis au ministère de la Santé guinéen mi février les clefs de ces laboratoires, dont la technologie de biologie moléculaire par PCR, peut être réutilisée pour d'autres pathologies.
Et maintenant ? La Guinée peut-elle faire tourner ces laboratoires ?
C'est tout le défi. Nous sommes dans un moment de transition : les acteurs de l’urgence sont repartis, les Guinéens doivent intégrer dans leur système de santé de nouveaux outils, avec moins de ressources qu'avant Ebola, et des financements internationaux théoriquement sur la table, mais en réalité, pas accessibles. Tout est à remettre à niveau : les structures de santé et le personnel, la surveillance sanitaire, le réseau des laboratoires. Il faut aussi un travail communautaire pour restaurer la confiance des populations dans le système de santé.
Les Guinéens ne sont pas seuls. Nous finissons de dérouler un portefeuille de 17 millions d'euros de projets (sur un total de 14 projets, pour 22,6 millions d'euros, ndlr). Certains entrent dans une deuxième phase, comme Twin2H, un projet de renforcement de l'hygiène hospitalière en Guinée, Liberia, Cameroun et Ghana, le projet de renforcement de la capacité de réponse aux épidémies Prepare, ou encore Labnet. Ce dernier, mis en œuvre avec la Fondation Mérieux et l'Institut Pasteur, a permis d'évaluer les 85-90 laboratoires guinéens. Nous avons remis ce diagnostic aux Guinéens ; ils peuvent sur cette base élaborer un plan de remise à niveau. Ils seront aidés, notamment grâce à un financement relais de l'AFD, comportant par ailleurs un volet sur la préfiguration du futur institut Pasteur de Conakry.
Les 22 et 23 mars 2015, se tient à Lyon une conférence sur la sécurité sanitaire internationale, priorité de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). Qu'en attendez-vous ?
Ebola a été un électrochoc pour la communauté internationale, qui a pris conscience que la sécurité sanitaire était en danger. Il y aura un avant et après Ebola. Beaucoup de moyens humains et financiers sont aujourd'hui investis dans la sécurité sanitaire internationale et ce qui se passera en Afrique ces prochaines années sera influencé par ces thématiques. On constate ainsi que les projets NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques), initialement loin de la santé et des épidémies, sont réorientés sur ces sujets. Expertise France a ainsi remporté un appel d’offres de la commission européenne pour aider les centres d'excellence NRBC d'une dizaine de pays de la façade atlantique à gérer les épidémies.
La conférence de Lyon doit permettre d'améliorer la coordination entre les différents programmes financés par les institutions internationales. Encore un défi, surtout que les Américains n'ont pas attendu la France ni l'OMS pour dérouler leur programme.
Aujourd’hui, l’Afrique est-elle prête à riposter à une nouvelle épidémie ?
Mieux qu’avant, mais pas vraiment. Les acteurs savent quoi faire, mais ils n’ont pas les moyens humains, techniques et financiers pour répondre de façon satisfaisante. J'ai peur que l'on glisse, de nouveau, dans une approche verticale promise à l'échec tant qu'il n'y aura pas un effort sincère et transversal pour renforcer les systèmes de santé. VIH, santé maternelle et infantile, ou sécurité sanitaire : on aura beau mettre les moyens, les systèmes de santé n'arriveront pas à les absorber tant qu'ils ne seront pas repensés dans leur globalité. Il y a eu unanimité pour dire que 90 % des causes d'Ebola résident dans l'état de déshérence des structures publiques de santé !
Cela suppose que les États fassent un minimum d'efforts sur la formation des soignants, les infrastructures, la maîtrise d'ouvrage. Dans les pays frappés par Ebola, la volonté politique ne manque pas. Mais il faut des moyens. Les bailleurs internationaux doivent sortir du dogme néolibéral des périodes d'ajustement structurel, cesser de ne privilégier que le privé et investir dans les systèmes de santé publics.
*Créée dans la loi du 7 juillet 2014 relative à la politique de développement et de solidarité internationale, l'agence est issue de la fusion de six opérateurs publics de coopération technique internationale : FEI, ADETEF, GIP Esther, GIP Inter, GIP SPSI, ADECRI.
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