LE QUOTIDIEN : Malgré l’omniprésence des représentations de la sexualité dans notre société, celle des personnes âgées reste un sujet extrêmement tabou. Quelles en sont les raisons ?
Dr VÉRONIQUE GRINER-ABRAHAM : Le sujet reste désirant jusqu’à la fin de sa vie, mais le regard de la société sur sa sexualité change en fonction de son âge. La sexualité se construit en articulation étroite avec le corps et s’organise en fonction des changements de ce corps. Quand la justification de la santé et de la beauté comme motifs légitimes du désir disparaît, alors le maintien du désir sexuel chez le sujet âgé apparaît comme l’expression d’une émotion désocialisée, c’est-à-dire bestiale et obscène. Nous évoluons dans un système de croyances qui nous rend extrêmement difficile le fait d’envisager la sexualité des personnes âgées, car nous les percevons comme nos parents ou nos grands-parents et l’idée même qu’ils puissent faire l’amour est inimaginable pour des raisons liées au fantasme œdipien.
Ce tabou sociétal influe-t-il sur la sexualité et le désir des personnes âgées ?
Sans aucun doute, d’autant que la vision judéo-chrétienne très forte qui imprègne notre société pèse encore durablement sur le rapport qu’entretiennent les femmes par rapport à leur sexualité. Bien qu’elle puisse théoriquement faire l’amour jusqu’à sa mort, il a longtemps été impensable qu’une femme ménopausée ait une sexualité. Cette notion de plaisir qu’elles s’interdisent à partir d’un certain âge et qui constitue une vraie inégalité par rapport aux hommes m’a été rapportée par beaucoup de patientes. « À mon âge, je n’ai plus le droit. Il faut se faire une raison », ou bien « Mes enfants ne seraient pas contents » sont des phrases que j’ai pu entendre à de nombreuses reprises et qui font directement écho à celles émanant des plus jeunes : « Ils sont moches… Ils ne peuvent plus ».
L'intimité sexuelle des personnes âgées en institution est-elle suffisamment respectée ?
Il existe une évidente contradiction entre l’intimité nécessaire à une vie affective et sexuelle harmonieuse et la proximité présente dans les lieux de vie collectifs. Cependant, il est indéniable que la place laissée à la possibilité d’avoir une sexualité pour les personnes qui sont en institution doit être une problématique dont les équipes médicales, soignantes et administratives doivent s’emparer. Énormément de questions éthiques se posent à ce niveau, dont celle du consentement éclairé qui se heurte à la protection des personnes vulnérables. En matière d’intimité, il est difficile de déterminer ce qui est de l’ordre du consenti par anticipation et du consenti dans l’action. L’idée du consentement éclairé est également très problématique quand il s’agit de concevoir ce que peut exprimer une personne dont le jugement est considéré comme altéré.
Comment jugez-vous l’évolution de la prise en compte de cette problématique ?
Face à des questions aussi délicates, nul n’est à l’abri de l’erreur, nul ne peut prétendre à l’objectivité, nul ne peut faire la leçon à quiconque. Le fait d’être conscient de cette incertitude est nécessaire pour pouvoir avancer avec toute la prudence nécessaire. En la circonstance, je trouve que le travail fait en institutions à ce niveau montre que les choses évoluent dans le bon sens. Chacun essaye de se trouver des marges de manœuvre et a compris qu’il ne pouvait pas anticiper. L’important est que ce débat soit porté par le personnel médical et qu’il puisse s’exprimer sur la question à chaque fois que nécessaire. A contrario, les témoignages de personnes en institutions manquent, alors qu’ils sont évidemment essentiels pour que les choses continuent d’avancer.
*« Vieillisimo » – Presses de l’Ecole des hautes études en santé publique
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