En pleine campagne présidentielle, la Cour des comptes a alerté ce mercredi sur la nécessité d'un « effort sans précédent » – dans les prochaines années – pour maîtriser les dépenses publiques. Dans son rapport consacré à la gestion de la crise sanitaire, elle pointe par ailleurs les « faiblesses structurelles » des Ehpad et invite les laboratoires pharmaceutiques et le gouvernement à mieux anticiper les pénuries de médicaments et de produits de santé.
Dette, déficits : la France au piquet
Alors que la crise a entraîné la mobilisation de moyens publics « d'une ampleur inédite » pour lutter contre l'épidémie et soutenir l'économie, cet effort va « durablement peser sur le déficit et la dette publics », dont la réduction nécessitera des efforts « sans précédent de maîtrise des dépenses », prévient la Cour. La dette devrait s'accroître de 560 milliards d'euros entre la fin 2019 et la fin 2022, pour peser 113 % du PIB, la seule facture Covid s'élevant à 140 milliards d'euros. Sur ces bases, la France est « dans le groupe des pays de la zone euro dont (...) la situation des finances publiques est la plus dégradée », pointent les magistrats financiers, et ce en dépit d’une reprise économique. Les dépenses de santé (dans le champ de l’Ondam) ont progressé de 8,2 % l'an passé à périmètre constant, tirées également par les dépenses du Ségur (près de 10 milliards d'euros).
Ehpad : le manque de ressources médicales
La Cour s'est penchée sur l’impact de la crise sanitaire sur les quelque 7 500 établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), au cœur de l'actualité avec l'affaire Orpea. Près de 34 000 résidents sont décédés du fait de la pandémie entre mars 2020 et mars 2021, en grande partie pendant les deux premières vagues, et de façon inégale sur le territoire. Cette vulnérabilité particulière ne s’explique pas seulement par la fragilité des personnes âgées « mais elle résulte également des difficultés structurelles » des Ehpad, souligne la Cour, qui cite le manque de ressources humaines et l’inadaptation des locaux.
Ainsi, les Ehpad les plus touchés sont ceux dont la proportion d’équivalents temps plein (ETP) de personnel paramédical, d’infirmiers ou de médecins coordonnateurs était « plus basse », analyse la Cour. Et les Ehpad privés commerciaux, où le taux d’encadrement des résidents est moins élevé, ont été « significativement plus touchés » que ceux adossés à un hôpital public.
De manière générale, le manque criant de ressources médicales – un tiers des établissements n'avaient pas de médecin coordonnateur à temps plein en 2015, les médecins représentent 1 % des ETP des Ehpad – et le taux élevé de rotation du personnel paramédical se sont révélés préjudiciables lorsque la crise du Covid est arrivée. « C’est un personnel lui-même fragilisé qui s’est trouvé devoir accompagner les personnes âgées durant la période de pandémie, avec une implication particulièrement forte », souligne le rapport. Le manque de médecins traitants de ville pèse aussi sur les établissements.
Inadaptation des locaux
L'autre difficulté tient à l'architecture même des Ehpad : 15 % des établissements sont installés dans des bâtiments de plus de 30 ans qui n'ont pas toujours permis la mise en place de zones Covid séparées, ni l’isolement des résidents.
Toujours dans les Ehpad, la compensation des pertes de recettes, la couverture des dépenses occasionnées par la pandémie et la prise en charge par l’Assurance-maladie de la prime Covid des personnels, ont représenté 1,7 milliard d'euros en 2020. La reconduction partielle de ces mesures l'an passé, les revalorisations dans le cadre du Ségur et des dotations pour financer la création de places et le développement d'outils numériques n'ont pas suffi à atténuer les tensions du secteur, constate la Cour. Pour la rue Cambon, l'effort financier « aurait pu être l'occasion pour l'État d'engager des réformes structurelles trop longtemps différées », mais « tel n'a pas été le cas », déplore la Cour, sans évoquer noir sur blanc le renoncement à la loi Grand âge.
En attendant, les magistrats invitent à agir sur les conditions de travail des personnels et à consolider les « bonnes pratiques » ayant émergé pendant la crise comme le recours à l'HAD, aux équipes mobiles de gériatrie, l'insertion dans un réseau de soins et l'utilisation d'outils numériques. « À défaut de prise en compte de ces orientations plus structurelles, l’effort financier exceptionnel décidé dans le cadre du Ségur de la santé risque de ne pas permettre aux Ehpad de surmonter leurs faiblesses organisationnelles et de fonctionnement les plus profondes », met en garde la Cour.
Pénurie de produits de santé : des plans pas assez robustes
Enfin, la Cour épingle la gestion des pénuries de produits de santé pendant la crise, concernant principalement les médicaments utilisés en soins intensifs et réanimation et les masques, dont le stock préexistant faisait « défaut ».
Mais ces problèmes ont coexisté en réalité avec « des difficultés structurelles d'approvisionnement, sur un ensemble plus large de médicaments », relève la rue Cambon. L’évolution des déclarations auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) montre une accélération des tensions dès 2018, avec un point culminant atteint en 2020. Avant la crise, les tensions portaient principalement sur les médicaments liés au traitement des maladies du système nerveux, du système cardiovasculaire, les anti-infectieux et les anticancéreux.
Ces tensions structurelles sont liées à l’évolution du modèle économique des entreprises pharmaceutiques, qui se concentrent sur un nombre restreint de domaines thérapeutiques, quitte à laisser d'autres champs à des start-up. « Pour maintenir leur taux de marge, les entreprises ont cherché à réduire leurs coûts, notamment de production, en sous-traitant celle-ci », ajoute la Cour. Les laboratoires dépendent fortement de fournisseurs étrangers, notamment asiatiques (l'Inde et la Chine produisant 60 % du paracétamol et 90 % de la pénicilline). Quant aux plans de gestion des pénuries, ils ne sont « pas assez robustes ».
La Cour recommande d'aller au-delà des mesures déjà mises en place (structuration d'une filière de production de médicaments innovants, soutien aux relocalisations) et de diversifier les approvisionnements « même si cela va à l’encontre de la recherche de rendements d’échelle ». Elle appelle à mieux repérer les points de vulnérabilité et à objectiver « l’évolution des ruptures d’approvisionnement en médicaments ». Il convient aussi de mettre en place un dispositif efficace de remontée d’informations sur les ruptures de dispositifs médicaux « dont les conséquences peuvent être graves pour les patients ».
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