« Je voudrais marquer ce quinquennat par trois chantiers qui ne sont pas de pierre et qui concernent les hommes et les femmes de cœur » (discours 14 juillet 2002). Les États Généraux des malades atteints de cancer, organisés par la Ligue en 1998 ont été à la base du Chantier Cancer de Jacques Chirac. Ils ont donné le signal d’une révolution sociétale qui devait changer le rapport entre soignants et soignés. Les malades étaient objets de soins, ils voulaient être sujets, voire partenaires des soins. La Ligue et ses comités départementaux fortement implantés sur le terrain avaient accumulé des projets et des innovations, véritables pierres de construction du chantier à venir. Ces matériaux robustes étaient créés avec un réseau de malades extraordinairement motivés, dont les femmes atteintes d’un cancer du sein, constituaient le fer de lance.
J’étais présent à l’Élysée en mars 2003 lors du discours inaugural du plan cancer annoncé après sa réélection. Au milieu du discours, j’entendis la phrase « Tout cela ne pourra être réalisé sans l’apport du mouvement associatif dont je salue ici les principaux responsables et notamment le président de la Ligue le professeur Henri Pujol ». Cela fut remarqué car j’étais la seule personne de la société civile citée dans le discours. Je dus commenter cette singularité de citation.
Le président voulait que le Plan cancer, mieux dénommé chantier cancer, concerne les citoyens et leurs associations. À défaut de les citer toutes, il avait cité la plus importante : la Ligue avec ses 700 000 adhérents. Pourquoi un chantier ? Le terme de chantier est plus populaire, plus mobilisateur, plus responsable également : l’avancement est contrôlable. Mettre une action au niveau présidentiel sécurise les arbitrages budgétaires interministériels. Les fondamentaux de la lutte contre le cancer sont connus dans tous les pays du monde : prévenir, dépister, soigner, chercher, soutenir, mais il faut mettre tout cela en cohérence et en harmonie au bénéfice des personnes soignées.
Il voulait laisser une trace
On m’a demandé sur quoi reposait la motivation du président. Question sans objet pour une maladie qui touche un Français sur deux. Aujourd’hui, on guérit un patient sur deux en espérant bientôt deux sur trois. Il voulait laisser une trace et les chantiers choisis étaient profondément populaires.
En octobre 2003 est survenu l’événement majeur de mon engagement à ses côtés. Le Secrétaire Général de l’Élysée, Frédéric Salat-Baroux, m’informa que le président Chirac allait me recevoir en audience, en tant que président de la Ligue. J’interrogeais l’agenda de la Présidence, accessible à tous les citoyens sur internet, et je découvrais que quatre entretiens étaient affichés entre le mercredi 29 octobre après-midi et le jeudi 30 au matin. Mon rendez-vous s’intercalait entre ceux de : M. François Hollande, M. Alain Juppé, et M. Shimon Peres. Cela témoignait de l’importance que le président attachait aux travaux de la Ligue.
Je demandais à Frédéric Salat-Baroux quels documents je devais préparer pour l’entretien. La réponse fut claire « le président veut s’entretenir avec vous des besoins ressentis par les malades et des meilleurs moyens de les satisfaire. Il ne s’agit pas de présenter un rapport mais préparez-vous à des échanges approfondis ».
L’entretien commença à 9 h dans le grand bureau présidentiel. Mme Marie-Claire Carrere-Gee, conseillère du domaine social était présente. J’expliquai pourquoi le chantier cancer devait concerner l’ensemble des citoyens. Les comportements individuels favorables à la prévention des cancers et à la réussite des programmes de dépistage en cours de déploiement demandaient une très large participation de la population. La norme internationale fixe à 60 % au minimum l’adhésion à un programme de dépistage pour son efficacité en termes de santé publique. Avec plusieurs membres de la famille également concernés, le cancer est un problème social.
Deux postulats et six actions émergentes
Pour changer significativement la situation, il fallait au moins deux grandes actions :
- Améliorer la vie quotidienne des personnes soignées et de leur famille en apportant de l’attention, de l’information, du bien-être et pas uniquement du traitement. De même après les soins, il fallait améliorer le retour à la vie quotidienne notamment vis-à-vis de l’accès au travail et l’accès à l’emprunt pour acquérir un bien.
- Le deuxième postulat, aussi important, était d’assurer l’égalité d’accès pour tous à des soins de qualité dans des lieux qui seraient identifiés par des critères solides et contrôlables. Les Agences de Santé rendraient publics les noms des hôpitaux et cliniques autorisés à traiter avec une prise en charge optimale. L’égalité d’accès aux soins a pour corollaire l’égalité de qualité de soins. Cela pouvait être réalisé d’ici la fin du chantier.
Au cours de cette conversation, je constatai la grande capacité d’attention de la part du président et surtout une forte volonté que le chantier produise des résultats significatifs. Il me demanda de lui signaler si des difficultés survenaient. J’avais gardé une question que j’hésitai à poser mais il me précéda : « Pensez-vous que le futur Institut du Cancer puisse faire appel à la générosité publique ? » Je répondis que l’Institut National du Cancer devait être assimilé à une Agence dépendant des deux ministères Santé et Recherche et qu’il devait recevoir une dotation publique à la hauteur de l’importance de ses missions. Le président approuva sans commentaire. L’entretien se termina par l’acceptation de venir honorer de sa personne les 3e États Généraux des malades et des proches prévus pour 2004, ce qu’il fit devant 3 500 ligueurs, malades et proches réunis.
Comment juger de l’impact des engagements pris ? La Cour des comptes qui ne travaille pas dans la dentelle du Puy, a fait un constat très positif sur le chantier : un tiers du programme réalisé, un tiers mis en route et un tiers à venir. Quel compliment ! Tout cela en cinq années seulement !
Parmi toutes les actions produites dans le chantier Cancer, on peut en distinguer six émergentes, toutes réalisées et consolidées par décrets avant la fin de son mandat : la consultation d’annonce, mesure emblématique qui répondait aux doléances des États généraux de 1998 ; la démarche d’autorisation qui valide les établissements habilités ; l’interdiction de fumer dans les lieux publics ; l’extension du dépistage de masse du cancer du sein à tous les départements ; un meilleur accès à l’assurance ; et la création de l’Institut National du Cancer.
Soyons reconnaissants à Jacques Chirac, à la fois maître d’ouvrage et maître d’œuvre de son chantier présidentiel. Il était en proximité totale avec la population et il avait du cœur. Profondément humain, il transmettait autour de lui cette force qui vous pousse à vous surpasser… l’exaltation.
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