Pr Sahar Saleem Radiologue, médecin du musée égyptien du Caire

« J’ai passé au scanner plus de 250 momies »

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Publié le 07/04/2023
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Responsable du département de radiologie de la faculté de médecine de l’Université du Caire, la Pr Sahar Saleem est depuis 2006 médecin attitrée du musée égyptien de la place Tahrir, institution de référence dans l’étude de l’antiquité égyptienne. Pionnière dans sa discipline, la paléo-radiologie, elle passe au scanner des momies millénaires afin d’aider les archéologues dans leur travail.

Crédit photo : DR

LE QUOTIDIEN : Comment êtes-vous devenue paléo-radiologue ?

Pr SAHAR SALEEM : J’ai d’abord appris la médecine à l’Université du Caire où je me suis spécialisée en radiologie. Puis je suis partie en 2004 au Canada pour suivre deux formations postdoctorales à la Western University de London, dans l’Ontario, l’une en imagerie cérébrale et fœtale, l’autre en éducation médicale. Mais lors de mon premier jour là-bas, j’ai assisté un peu par hasard au scanner d’une momie ! C’est comme cela que j’ai découvert la paléo-radiologie. J’ai tout de suite décidé de suivre également une formation très spécialisée dans ce domaine.

Quand je suis rentrée en Égypte en 2006, je me suis tout de suite présentée au ministère du Tourisme et des antiquités afin de lui proposer mes services. Il venait de lancer un projet consistant à inventorier toutes les momies du pays. Un scanner avait tout juste été installé dans les jardins du musée égyptien de la place Tahrir, au Caire, mais ils n’avaient personne pour le diriger. Voilà comment je suis devenue le médecin de ce musée jusqu’à aujourd’hui. 

Quelles sont les missions du médecin du musée égyptien du Caire ?

Je travaille en lien étroit avec le directeur du musée, les conservateurs et les archéologues. Au début, ma mission principale a consisté à faire un état des lieux de la conservation des momies afin d’identifier celles qui ont besoin d’être entretenues.

Mais je me suis rapidement rendu compte que les archéologues n’avaient à l’époque pas conscience des possibilités qu’offraient les rayons X. Ils ne savaient pas quoi me demander ! J’ai donc organisé des formations afin qu’eux et moi arrivions à mieux nous comprendre. Par exemple, je leur ai appris qu’on pouvait scanner directement un sarcophage pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur sans risquer de l’endommager. Or, dans les immenses sous-sols du musée, des centaines de sarcophages étaient encore intacts, jamais étudiés. À ce jour, j’ai passé au scanner plus de 250 momies.

Au fur et à mesure des années, j’ai commencé à m’aguerrir et être de plus en plus autonome. Désormais, je peux faire mes propres recherches sur les momies, suggérer celles qui méritent d’être exposées et participer à la scénographie. J’ai aussi développé une méthode permettant de scanner les momies directement sur les sites d’excavation. 

Quelles sont vos plus grandes réalisations dans ce domaine ?

Le transfert de 22 momies royales depuis le musée égyptien du Caire jusqu’au nouveau musée national de la civilisation égyptienne, qui a eu lieu en avril 2021, est assurément un moment marquant de ma carrière. Dès le mois d’avril 2016, le ministère m'a nommée membre du comité scientifique chargé de la planification et de la scénographie de cet événement. J’ai donc étudié de près beaucoup de momies royales afin d’identifier lesquelles étaient transportables, comment il fallait les disposer dans leur nouvelle demeure et quelle histoire elles racontaient.

Nous avons fait des découvertes passionnantes qui n’auraient pas été possibles sans l’intervention d’un radiologue. L’une concerne le roi Seqenenrê Tâa, qui a régné au XVIe siècle avant J.C. Grâce au scanner, nous avons découvert qu’il était mort lors d’une bataille en comparant les blessures que sa momie a au visage avec les armes de l’époque. Une autre découverte concerne le célèbre pharaon Ramsès III qui a régné au XIIe siècle avant notre ère. Le scanner a permis de révéler que sa gorge avait été tranchée ainsi que son orteil gauche. Cela accrédite donc la thèse de l’assassinat politique qui n’était jusqu’alors qu’une supposition. 

Vos travaux ont-ils aussi permis d’en savoir plus sur la médecine de l’époque ?

Bien sûr, je me suis même peu à peu spécialisée dans l’étude de la médecine dans l’Égypte antique. En collaboration avec le comité scientifique du musée, je me suis d’abord intéressée aux outils médicaux qui y sont exposés ou stockés. Je me suis alors rendu compte à quelle point la médecine était développée dans la civilisation pharaonique.

Prenons l’exemple des prothèses. À l’occasion du scanner de la momie d’une princesse ayant vécu au IXe siècle avant J.C., j’ai noté que son gros orteil avait été amputé et qu’à la place on trouvait un petit morceau de bois qui présentait des marques d’usure, sa prothèse. À partir de là, nous avons pu montrer que, non seulement nos ancêtres maîtrisaient la chirurgie mais donc aussi l'anatomie, l'anesthésie et devaient disposer de certains antibiotiques. 

La paléo-radiologie est-elle une discipline répandue en Égypte ?

Avant moi, personne en Égypte n’était spécialisé dans la paléo-radiologie. Et je suis toujours la seule ! J’attache aujourd’hui beaucoup d’importance au fait de former les nouvelles générations à cette discipline et plus largement à l’usage de la médecine dans l’archéologie. En tant que pionnière et référente dans ce domaine, je donne des cours à l’université et des conférences dans différents musées pour les étudiants en médecine mais aussi en archéologie et en anthropologie. J’ai également travaillé à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Italie, pour les aider à développer cette pratique. Mais malheureusement, en Égypte, il n’y a pas à ce jour de chaire ou même d’unité de paléo-radiologie à proprement parler. C’est mon rêve de développer cela. C’est une fierté de participer à la recherche et à la préservation de l’héritage égyptien antique.

Propos recueillis par Martin Dumas Primbault

Source : Le Quotidien du médecin