Au départ, le Pr Christian Cabrol n'était pas très convaincu par le cœur artificiel total. Il faut dire qu'il était déjà à la tête d'une révolution dans la chirurgie cardiaque en réalisant le 27 avril 1968 à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) la première transplantation cardiaque en Europe.
« En 1984, notre programme de greffes cardiaques connaissait des succès très encourageants, se souvient le Pr Cabrol. Concernant l'utilisation d'un cœur artificiel, j'étais plutôt réticent ». Pourtant, c'est avec les Prs Iradj Gandjbakch et Alain Pavie, ses futurs successeurs, que le Pr Cabrol va réaliser la première greffe de cœur artificiel total en Europe, il y a 30 ans, le 13 avril 1986. Ce sera un Jarvik 7, un modèle composé de deux demi-coeurs, droit et gauche, en plastique, qui se raccordent comme un greffon par des sutures aux oreillettes à l'artère pulmonaire et à l'aorte.
Deux événements déterminants
« Le début de tout, explique-t-il, c'est cet homme venu me dire sa reconnaissance d'avoir tout tenté pour sauver sa femme, malgré tout décédée. » En fin d'entretien, le mari lui demande : « Pourquoi ne lui avez-vous pas mis un cœur artificiel ? ». Le chirurgien, désarçonné, lui avoue qu'il n'en a pas. « Bah, dans un service comme le vôtre, il en faudrait un », lui répond l'homme.
Un autre événement la même année de 1984 va lui faire changer d'avis. C'est la rencontre avec le Dr Didier Lapeyre, qui travaillait à la fabrication d'une prothèse cardiaque dans les ateliers de recherche de l'Aérospatiale. « Il est venu me demander de pouvoir utiliser notre laboratoire expérimental, bien équipé, raconte le Pr Cabrol. Tous les essais précédents s'étaient soldés par des échecs. J'acceptai de lui apporter notre aide tout en n'étant pas convaincu du résultat ». À sa très grande surprise, l'intervention réalisée sur une génisse est un succès. Le chirurgien est intéressé par l'invention pour certains malades, mais Didier Lapeyre disparaît en disant que ce cœur n'est pas encore au point.
Le Pr Cabrol décide alors d'aller aux États-Unis voir un cœur artificiel, baptisé le Jarvik 7, développé par Willem Kolff et Robert Jarvik, et utilisé la première fois en 1982. Les inventeurs lui proposent un stage d'une semaine d'entraînement à l'implantation et au bout de 8 jours, le chirurgien français est capable d'implanter une prothèse en 1 heure 15.
Le coup de baguette magique du roi du Maroc
De retour à Paris, un journaliste du « Figaro » lui demande d'écrire un article sur le cœur artificiel. Le Pr Cabrol lui dit être maintenant convaincu de l'intérêt du dispositif mais que la plus grande difficulté est de trouver le financement. Quelques jours plus tard, le journal lui propose de lancer une grande souscription nationale destinée à cet achat. D'abord opposé à l'idée, le Pr Cabrol se laisse convaincre par son équipe qui l'exhorte à ne pas refuser cette occasion inespérée. Comme il s'y attend, les critiques des confrères « acerbes » ne manquent pas.
Le dénouement heureux vient d'ailleurs. Quelque temps plus tard. Son ami le Pr René Touraine, médecin du roi du Maroc, lui annonce au téléphone que le souverain souhaite lui offrir son cœur artificiel. « C'était formidable, se souvient le Pr Cabrol, encore très touché de ce geste. J'avais opéré quelques années plus tôt une jeune fille de sa cour et n'avais pas accepté de rémunération, étant salarié à temps plein à l'Assistance publique. Le roi aurait pu penser qu'après tout, c'était un dû. Mais il a exprimé sa reconnaissance le moment venu avec beaucoup de tact. » Et l'aventure du cœur artificiel a pu commencer.
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