LE QUOTIDIEN : Quels sont les enjeux économiques du développement des biosimilaires en France ?
CLAUDE LE PEN : C'est la même problématique économique que les génériques : ce sont des médicaments similaires aux médicaments de référence, mais nettement moins chers. De plus, les médicaments qui vont tomber dans le domaine public sont des médicaments en tête des ventes : les anti-TNF alpha, les anticancéreux, avec Avastin en tête ou Herceptin. Ce sont les best-seller du marché mondial et les montants en jeu sont donc très élevés. Lorsqu'on regarde la situation dans certains pays et même en France, la baisse de prix peut être supérieure à 30 %, donc supérieure à ce qu'on attendait.
Enfin, l'économie est double, car non seulement le biosimilaire est moins cher, mais le prix de la molécule princeps baisse également, soit du fait de l’État soit, à l’hôpital, du fait du processus concurrentiel.
De quoi va dépendre l'évolution du marché des biosimilaires ?
Le marché va beaucoup dépendre de la législation qui va se mettre en place, des attitudes des médecins prescripteurs, des pharmaciens et des patients. On observe déjà que le taux de pénétration peut varier selon l'indication, pour les biosimilaires de la première génération comme l'EPO, ou le filgrastim. Les nouveaux biosimilaires qui viennent d'être lancés récemment, ceux de Remicade et Lantus, ont encore une pénétration assez faible. Mais d'autres marchés arrivent.
On estime aujourd'hui que le générique fait économiser environ 2 milliards d'euros à l'Assurance-maladie. On n'atteindra peut-être pas une somme aussi importante avec les biosimilaires, car le marché plus petit. Mais ils pourraient néanmoins permettre une économie de plusieurs centaines de millions d'euros en France. Les estimations mondiales tablent sur 20 à 30 % de croissance de ce marché, mais cela dépendra beaucoup des politiques qui vont être mises en œuvre. Aujourd'hui, les biosimilaires qui existent sont des produits de prescriptions, il n'y a pas de substitution officinale. Leur pénétration dépend de la prescription médicale, donc de la connaissance qu'en ont les médecins et de l'effort promotionnel des laboratoires !
Quel a été le montant des économies réalisées l'an dernier grâce aux biosimilaires ?
La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2016 prévoyait une économie de 30 millions d'euros grâce aux biosimilaires. Ce sont des chiffres très modestes au regard du marché. Dans le projet de loi de financement pour 2017 (PLFSS 2017), l’État prévoit encore une économie de 30 millions. Les prévisions de l’État sont relativement conservatrices. Pour l'instant, c'est très faible, en particulier en ville, car les produits sont surtout hospitaliers. L'infliximab est un produit hospitalier, donc les économies n'apparaissent pas dans l'ONDAM. En ville pour l'instant il n'y a que l'insuline glargine, et je n'ai pas constaté qu'elle a vraiment décollé. Les grosses sources d'économies seront réalisées dans les années à venir et principalement à l'hôpital.
Quels sont les freins au développement des médicaments biosimilaires ?
Il sont nombreux et il faut les gérer avec soin pour ne pas casser le marché et faire avec les biosimilaires ce qu'on n'a pas très bien réussi avec le générique en France. Le frein principal aujourd'hui, c'est l'ambiguïté de savoir si le biosimilaires est un produit de prescription ou un produit de substitution. Pour l'instant, il n'y a pas de droit de substitution pour le pharmacien. L'article de la LFSS 2014 l'avait introduit, mais il n'a pas reçu de décret d'application. On est toujours sur un modèle de prescription. En Europe aussi, on est plutôt dans un modèle de prescription que dans un modèle de distribution. Aucun pays n'a encore pris de mesures pour favoriser la substitution par le pharmacien. La France était plutôt en avance, mais comme la mesure n'a pas été appliquée, on se retrouve comme tout le monde.
Le deuxième frein concerne l'interchangeabilité, ou switch. Peut-on passer un patient déjà traité par la molécule originale sur le biosimilaire ou faut-il le réserver pour patient qui débute un traitement ? L'Agence du médicament (ANSM) a été un peu ambiguë sur le sujet et cette décision est laissée à la discrétion des médecins et des pharmaciens des hôpitaux.
Le troisième frein, c'est l'extrapolation : l'Agence européenne du médicament (EMA) donne une AMM de biosimilaire dans une indication et on considère qu'il est équivalent dans toutes les autres indications.
Enfin, le quatrième obstacle, ce sont les patients, qui peuvent redouter qu'on leur donne un produit moins bien pour faire des économies. Pour éviter ce « syndrome générique », il faut que ça soit fait en toute transparence et qu'il y ait un dialogue.
Quelles seraient les mesures à mettre en œuvre pour encourager le développement des biosimilaires en France ?
Dans le cadre de l'interchangeabilité, l'incitation naturelle serait l'inscription dans la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) pour les médecins concernés. Il faudrait faire des ROSP spécifiques pour les médecins spécialistes. À l'hôpital c'est assez simple, car il y a les décisions communes médecins-pharmaciens et le budget de l'hôpital suffit à créer des incitations.
En ville il faut intéresser le médecin à la prescription de biosimilaires et le rassurer sur la sécurité de son acte par des actions de promotion. Enfin, il faudrait régler l’épineux problème de la substitution par le pharmacien en définissant un cadre juridique qui soit à la fois simple et clair. On n’y est pas encore…
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