Mission interministérielle contre l'exclusion, la fusion de l'AME, la CMUc et de l'ACS, prévention ciblée

Les préconisations fortes de l'Académie de médecine pour la santé des précaires

Par
Publié le 26/06/2017
Article réservé aux abonnés
sdf

sdf
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

L'Académie nationale de médecine affiche une position engagée contre la précarité en santé dans son dernier rapport adopté le 20 juin 2017. C'est un message fort, publié après la campagne présidentielle, qui est adressé à la nouvelle ministre de la Santé Agnès Buzyn.

Le message devrait trouver un écho favorable car la ministre semble avoir déjà pris la mesure de l'enjeu. « La précarité est un sujet majeur de notre société. L'injustice n'est plus supportable », a déclaré Agnès Buzyn, qui a fait le choix symbolique de son premier déplacement à ATD Quart-Monde de Noisy-le-Grand.

Les nouvelles propositions de l'Académie pour améliorer l'accès aux soins des populations les plus défavorisées vont loin et « correspondent à des constats qui dépassent les clivages politiques », explique au « Quotidien » le Pr Alfred Spira, médecin épidémiologiste retraité de l'IINSERM et coordonnateur du groupe de travail constitué début 2016 pour un rapport terminé fin 2016, médecin bénévole au SAMU social de Paris et qui avait été par ailleurs choisi « Monsieur Santé » en 2017 par le candidat socialiste à l'élection présidentielle Benoît Hamon.

Fusion de l'AME dans le régime général

L'Académie recommande la création d'une mission interministérielle de lutte contre l'exclusion en santé, la fusion des dispositifs d'accès aux droits sanitaires - Aide médicale d'État (AME), Couverture Maladie Universelle complémentaire (CMU-c) et Aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS). « L'idée de la mission interministérielle est d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur la complexité des dispositifs, explique le Pr Spira. Pour les droits d'accès aux soins, les strates se sont rajoutées au fur et à mesure, c'est illisible. Il y a un effort de clarification à faire ».

Malgré le déploiement de moyens importants, « la situation sanitaire des personnes précaires et pauvres est de plus en plus préoccupante », s'alarme l'Académie. Il y a en France environ 9 millions de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (14,1 %), dont 3 millions d'enfants, 140 000 personnes vivant à la rue (les « SDF »). La France accueille chaque année 200 000 migrants ; en Ile-de-France 35 000 personnes sont hébergées chaque nuit dans des hôtels ou des dispositifs dédiés.

« La pauvreté est un phénomène massif qui s'accroît dans notre pays, avec une augmentation d'un million de personnes pauvres entre 2004 et 2014 », souligne l'Académie. Le seuil de pauvreté est défini par une somme inférieure à 1 008 euros/mois pour une personne, 2 116 euros/mois pour un couple avec deux enfants. La pauvreté concerne un enfant sur cinq.

Les personnes précaires ont en permanence de nombreux choix à faire, essayant au mieux de parer aux urgences quotidiennes, souligne l'Académie. « Pour elles, la santé se situe dans un espace secondaire, ce qui peut engendrer un cercle vicieux : la dégradation de la santé concourt à la dégradation socio-économique, qui aggrave l'état sanitaire », poursuit-elle.

Le risque de décès dépend très fortement du niveau absolu de ressources des individus, mais aussi largement de l'environnement social et économique, rappelle l'Académie. Alors que le surpoids et l'obésité touchent plus durement les moins riches, les trois quarts des personnes accueillies dans les banques alimentaires ne couvrent pas leurs besoins nutritionnels. Parmi les plus précaires, le risque de dépression est multiplié par 2,4, celui de maladies métaboliques par 2,9, de maladie cardio-vasculaire par 1,4. Les taux de renoncement aux soins sont beaucoup plus élevés pour les personnes dont le revenu est inférieur à 1 200 euros/mois.

Le numérique, un outil de survie

Loin d'être des « gadgets » superflus et inappropriés, les technologies numériques et de communication doivent être accessibles et d'accès facilité. « Lorsqu'on est dans une situation de grande précarité, la possession d'un téléphone portable, voire d'un smartphone est indispensable et doit être favorisée, est-il expliqué dans le rapport. Il s'agit d'un instrument de survie, permettant d'avoir accès à des informations d'importance quasi vitale et à la communication. »

La création d'outils numériques spécifiquement adaptés permettrait ainsi « l'automaticité des droits (sanitaires et sociaux) » dans le cadre d'une simplification des procédures administratives. L'Académie insiste sur le fait que de tels développements ne sont là que pour « compléter le nécessaire dialogue entre les personnes concernées et l'ensemble des professionnels et bénévoles associatifs ».

L'accent est mis sur la prévention, qui doit s'appuyer sur une stratégie à la fois populationnelle mais aussi et surtout ciblée. « Les campagnes de prévention réalisées en population générale (tabac, alcool, contraception, vaccinations, usage des médicaments, santé mentale, etc.) sont moins efficaces auprès des populations vulnérables et paradoxalement accroissent les inégalités de santé, du fait de leur moindre réceptivité à ces messages », est-il expliqué.

Des actions humanitaires saluées

Un mot est dit de la formation des personnels sanitaires et sociaux. « Il faut à la fois ne pas considérer les personnes précaires comme "hors normes" ou "anormales" », souligne le rapport qui reconnaît qu' « engager un travail médical, sanitaire et social avec les personnes précaires est non seulement difficile, mais peut être déstabilisant pour les personnes qui le font ».

Le rapport salue les actions publiques et politiques déjà entreprises. Dans la grande précarité, alors que 32 % d'entre elles présentent un trouble psychiatrique sévère, des équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP), au nombre de 120 sur le territoire, permettent d'aller au-devant de ces personnes et des permanences d'accès aux soins de santé mentale (PASS en milieu psy) fonctionnent de façon complémentaire avec les PASS généralistes. Il existe en France 368 PASS généralistes, 18 dentaires et 44 psychiatriques, dont 22 à l'APHP et 49 pour l'ensemble de la région Ile-de-France.

Plusieurs associations humanitaires sont actives sur le terrain : soit généralistes Secours catholique, Secours Populaire, Emmaüs, COMEDE, Cimade, etc., soit spécifiquement dans le champ de la santé Médecins du Monde, Croix Rouge, etc. « Les nombreuses associations qui s'engagent dans ce type d'activité doivent être maintenues dans leur diversité et fortement soutenues », estime le rapport. Médecins du monde salue le rapport de l'Académie et exhorte la ministre à intégrer l'AME dans le régime général de Sécurité Sociale dès le Projet de Loi de finances pour 2018.

 

 

 

 

 

 

 

 

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9592