Juin 2018 : lors d'un discours fleuve au congrès de la Mutualité, à Montpellier, Emmanuel Macron esquisse sa feuille de route en santé. Au menu, « révolution de la prévention », médecine tournée vers le patient, réduction du reste à charge, décloisonnement ville/hôpital, amélioration de l'accès aux soins, services minimum… Un programme précisé quelques semaines plus tard, en septembre 2018, lors de la présentation détaillée de la « stratégie de transformation du système de santé ».
Les promesses du début de quinquennat ont-elles été tenues ? Trois ans plus tard, l’Institut Montaigne dresse un bilan contrasté.
Le 100 % santé au milieu du gué
Dès le projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) 2018, l'exécutif met sur les rails le 100 % santé, réforme sociale emblématique visant à aboutir à un reste à charge zéro dans les domaines de l'optique et des audioprothèses, en sus des négos entamées dans le secteur dentaire. Selon le think tank, cette réforme reste aujourd'hui au milieu du gué. Si les prévisions initiales ont été « dépassées » en dentaire et en matière d'audioprothèses (respectivement 52 % et 40 % de recours sur le panier 100 % santé sur les premiers mois de 2021), « la réforme n’avance pas aussi vite que prévu » sur le marché de l’optique, avec « seulement 10 % des ventes d’optique en volume ».
Dans la colonne à moitié remplie, l'Institut Montaigne revient sur l’article 51 de la loi Sécu 2018, une réforme très « macronienne » qui permet d’expérimenter de nouvelles organisations de prise en charge et des modes dérogatoires de financement. Au total, 342 millions d’euros de dépenses ont certes été autorisés pour cinq ans sur le Fonds pour l’innovation du système de santé. Mais en réalité, seuls « 71 projets ont été retenus sur 810 déposés et 528 éligibles ». La dynamique de l'innovation en santé a donc été amorcée mais doit faire ses preuves.
En matière de financement hospitalier, le think tank rappelle l’ambition d'Emmanuel Macron de s’affranchir de la tarification à l'actvité (T2A) qu’il espérait plafonner à 50 %. Toutefois, « on avance très doucement sur ce chantier là », recadre Angèle Malâtre-Lansac, directrice déléguée à la santé à l’Institut Montaigne. La logique forfaitaire a été enclenchée pour deux pathologies chroniques (insuffisance rénale chronique et diabète).
Sur la prévention, priorité affichée, les mesures « ont commencé à porter leurs fruits », positive le think tank. Et de citer l'extension des obligations vaccinales (la couverture de la vaccination hexavalente est passée de 93,1 % à 98,6 %), la « baisse de 1600 000 fumeurs quotidiens en moins de deux ans » — grâce à la hausse du prix du tabac jusqu'à 10 euros — ou la formation de 63 % d'élèves aux premiers gestes de secours.
Autre réalisation en bonne voie : l’augmentation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Elle n’a pas exactement atteint les « 100 euros mensuels » annoncés mais s’élève à 903,60 euros par mois pour une personne seule (contre 810,89 euros en 2018).
2019, année charnière
Du côté de l'accès aux soins d'une part et de la modernisation de l'exercice d'autre part, le rapport met au crédit de l'exécutif plusieurs avancées significatives à partir de 2019 : le financement de postes d’assistants médicaux pour épauler les médecins de ville (l'objectif initial était d'en déployer 4 000), la montée en puissance des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et, plus largement, la dynamique de regroupement et de travail en équipe. La réforme « Ma Santé 2022 » visait ainsi à doubler le nombre de maisons de santé et de centres de santé pluriprofessionnels pour atteindre respectivement 1 000 et 350 structures supplémentaires. « Les résultats sont prometteurs », salue cette fois l'Institut Montaigne dans son décryptage, qui recense 1740 MSP fin 2020 (versus 1040 en 2017) et 455 centres (pour un objectif de 700).
Plus récemment, la procédure (par ordonnance) de labellisation des hôpitaux de proximité mais aussi les modalités de leur fonctionnement et de leur gouvernance ont permis d'avancer vers la gradation des soins promise par l'exécutif.
L’Institut Montaigne relève aussi une réalisation marquante de Ma Santé 2022 (loi votée à l'été 2019), à savoir la réforme de l'accès aux études de santé (suppression de PACES et du numerus clausus), même si la transition s'est révélée très compliquée ces derniers mois.
Le think tank considère que les engagements autour du numérique en santé (2019-2022) ont été « tenus » : opposabilité des référentiels communs d'interopérabilité, convergence par les industriels, déploiement de services numériques socles, etc. Cette digitalisation fait partie des réussites du mandat, résume Angèle Malâtre-Lansac. « La feuille de route est arrivée assez rapidement et a fixé de nouvelles interactions pour accélérer l’interopérabilité, poser les bases d’une digitalisation du système, créer l’espace numérique de santé… », souligne-t-elle. Un chantier qui s'est brusquement accéléré avec l’explosion de la télémédecine (20 millions de consultations à distance remboursées l'an passé) et de la prise de rendez-vous en ligne, dans le cadre de la crise sanitaire.
Les trous du Ségur
Dans un contexte de malaise profond des soignants, de sous-financement chronique à l'hôpital et de réponse à la crise du Covid, le quinquennat Macron a évidemment été marqué par la séquence du « Ségur de la santé », avec deux avancées majeures : une enveloppe de 8,2 milliards d’euros par an pour revaloriser les salaires et carrières des soignants des établissements de santé et des EHPAD (dont 450 millions d’euros par an pour les praticiens hospitaliers); et 19 milliards d’euros d’investissement dans le système de santé (dont le tiers consacré au désendettement hospitalier). Certes, il s'agit d'une revalorisation « historique », selon Angèle Malâtre-Lansac. Mais, nuance cette experte, le Ségur « n’a pas résolu le mal-être hospitalier », notamment parce que « les questions du management, de l’organisation, des statuts ou des rigidités ont été très peu abordées. »
La crise sanitaire a surtout levé le voile sur les « failles » de notre modèle d’innovation en santé (incapacité de la France à produire un vaccin Covid, absence de souveraineté sanitaire), relève l’Institut. Face à ces défis, Emmanuel Macron a présenté en juin dernier seulement la stratégie « innovation santé 2030 », issue des travaux du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS). Le premier plan de 7 milliards d’euros prévoit d’investir dans trois domaines : la biothérapie, les maladies infectieuses émergentes et (à nouveau) la santé numérique. Il est trop tôt pour tirer le bilan mais, objecte l'Institut Montaigne, « la structuration de la filière santé n'est pas acquise ».
Les maux français demeurent
Au-delà de l'analyse de chaque réforme isolément, le think tank se montre critique sur la vision d'ensemble. In fine, la réponse politique à la crise a renforcé la « place prépondérante » de l’hôpital public dans notre système, tacle l’Institut. « L’hospitalo-centrisme est revenu au galop, la médecine de ville et les soins de premier recours ont été en partie oubliés », assène Angèle Malâtre-Lansac. Et d’ajouter que l’enjeu de la qualité des soins, abordé par Agnès Buzyn en début de mandat, « a complètement disparu des radars ». C'est le paradoxe de ce quinquennat. Malgré « un investissement historique dans le secteur de la santé », celui-ci n’en a pas fini avec « les corporatismes, les blocages et les silos ».
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