Un médecin, une vie
UN JOUR D’OCTOBRE, dans un hôpital Cochin en pleins travaux, une pile de baraques de chantier baptisée Lavoisier, curieusement plantée à côté du bâtiment Pasteur, abrite le seul centre d’investigation clinique exclusivement dédié à l’évaluation des vaccins. À sa tête, Odile Launay, 47 ans, tient le cap. La sonnerie du téléphone retentit. Les collègues de médecine nucléaire veulent des informations sur le vaccin H1N1. « Oui, on s’attend à trois ou quatre fois plus de patients touchés qu’avec la grippe saisonnière, oui l’expérience de l’hémisphère Sud permet de s’attendre à nombre de formes extrêmement sévères. Les Américains ont fait état de 10 décès d’enfants en bonne santé et sans facteur de risque la semaine dernière, et je ne peux que vous conseiller de profiter des vaccins qui arrivent sur l’hôpital pour vous protéger. » Odile Launay répète sans relâche à ses confrères que la grippe A n’est pas un fantasme. Selon elle, pas d’inquiétude, on peut faire confiance à l’adjuvant. Pour compléter une cohorte où il manquait un volontaire, elle n’a pas hésité à inclure l’un de ses grands enfants dans un essai. Chez elle, pas d’hésitation, tout le monde sera vacciné.
25 000 femmes enceintes.
L’arrivée des vaccins ne siffle pas la mi-temps des travaux de recherche. Parmi la vingtaine d’études en cours, son CIC vient de prendre l’initiative d’une étude destinée à observer l’incidence de la grippe, ses facteurs de risque et ses formes graves chez 2 000 femmes enceintes. Dans les quatre mois qui viennent, les maternités de Cochin Port-Royal, Saint-Vincent de Paul et Necker seront associées à la recherche. Un montage possible grâce à la ténacité de cette femme qui met un point d’honneur à conserver un pied en clinique pour suivre en consultation chaque semaine, 20 à 30 femmes enceintes contaminées par le VIH. « Au quotidien, nous n’avons pas besoin de faire de démonstration pour convaincre les femmes à participer aux essais cliniques, cette fois c’est un tout petit peu différent. » Bien consciente que ses travaux actuels prennent une nouvelle tournure, son équipe gère l’inquiétude de ces femmes enceintes en promettant de bénéficier en priorité du vaccin sans adjuvant attendu fin novembre. C’est, selon elle, la seule voie pour protéger leurs futurs enfants, de la naissance à 6 mois.
LE RÊVE D’UN INSTITUT NATIONAL DE VACCINOLOGIE
Dans sa blouse blanche, déterminée, Odile Launay porte en elle la maturité innée réservée à l’aînée d’une famille de quatre. Elle ne comprend pas les méandres actuels de la communication sur les vaccins alors que, pour tous les experts, « H1N1 est tout sauf une surprise », Devenue membre du Comité technique des vaccinations, Odile Launay participe au groupe de travail qui établit les recommandations et propose l’ordre de priorité de mise à disposition des vaccins. « Des décisions collégiales qu’il ne suffit pas de prendre, qu’il faut aussi expliquer. »
Capacité d’adaptation.
Un vu de pédagogie colle à la peau de cette femme qui a vu le jour dans « une famille loin de la médecine, même si son arrière-grand-père fut médecin généraliste ». Avec un père dans les travaux publics, elle a grandi au fil de 15 déménagements successifs et d’une scolarité suivie en Afrique, en Algérie et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Des changements qui semblent bien lui avoir laissé un goût prononcé pour la nouveauté et l’inconnu. Une impressionnante capacité d’adaptation que n’a pas oubliée le Pr Patrick Yéni, chef du service des maladies infectieuses tropicales à l’hôpital Bichat. « Chef de clinique, j’étais frappé par sa curiosité son sens de l’organisation, des qualités essentielles pour faire des essais cliniques et en prendre la responsabilité. »
Ce que, grâce à lui, elle ne tardera pas à faire, avec un premier essai clinique sur les rétroviraux confié par l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida), qui lui a permis de se révéler. « Aujourd’hui j’admire le travail qu’elle réalise sur H1N1. Je reconnais son sens aigu de l’organisation animée d’un intarissable désir de connaître et d’apprendre qui lui permet d’arriver toujours avec les bonnes questions. » Une rigueur dont son amie de faculté Florence Lot, aujourd’hui médecin épidémiologiste qui travaille sur la surveillance du VIH à l’InVS (Institut national de veille sanitaire), garde un souvenir plus épique. « Étudiantes, nous n’hésitions pas à lui laisser les cordons de la bourse pour gérer le budget des vacances que l’on était certaine de ne jamais dépasser ! »
Un univers passionnant.
La réputation de cette femme organisée, qui a aussi donné le jour à deux de ses enfants pendant ses années d’internat, semble désormais la mener au-delà de ce qu’elle avait imaginé. Son arrivée dans le vaccin a été un peu le fruit du hasard. Un domaine qu’elle qualifie clairement « de parent pauvre de la médecine, qui n’intéressait personne en France il y a encore quelques mois ».« J’ai découvert un univers passionnant en pleine expansion », explique-t-elle, et, depuis huit ans, cette petite structure aujourd’hui composée de 20 personnes s’étoffe, notamment grâce aux soutiens matériels et humains apportés par le Centre national de gestion des essais de produits de santé.
Le Pr Delfraissy, qui préside le comité d’experts sur la prise en charge thérapeutique des personnes séropositives et dirige le service des maladies infectieuses de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre n’est pas étonné par cette réussite. « Très tonique, c’est quelqu’un de solide, qui avance vite. » Elle fait partie, selon lui, « de cette nouvelle génération active dans un domaine nouveau en France, encore bien mal structuré », alors que la vaccinologie est déjà considérée comme une discipline dans certains pays. « Servons-nous aujourd’hui de H1N1 comme d’un modèle pour faire avancer les choses et mieux structurer nos organisations. »
Odile Launay n’est pas en reste sur la question et s’autorise un rêve. Celui d’un institut national de vaccinologie, qui rassemblerait les différents acteurs et tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin au vaccin et disposent de données disponibles fondamentales ou cliniques. « Nous avons aujourd’hui besoin de toutes les compétences pour faire des recommandations. » Elle n’oublie pas non plus l’intérêt majeur de développer un réseau de médecins généralistes qui accepteraient de participer au développement des nouveaux vaccins. « Participer aux études cliniques, c’est aussi savoir de quoi sont faits ces vaccins. » Une piqûre de rappel ou plutôt un appel pour vous associer à de futures études.
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