LE QUOTIDIEN : On présente parfois l’AP-HP comme un paquebot difficile à manœuvrer… C’est le cas ?
MARTIN HIRSCH : L’idée d’une AP-HP immobile, engluée, n’est plus valable aujourd’hui. La métaphore du paquebot énorme qui a du mal à bouger n’est plus exacte. On a ouvert de nombreux sujets d’organisation, d’innovation, de management, des sujets sociaux, scientifiques… Ceux qui exercent à l’AP-HP se rendent compte que ça bouge, nos partenaires aussi. L’AP-HP est une frégate, elle ne se laissera pas dépasser. Mais il y encore beaucoup de chemin à faire : nous nous y attelons.
Le suicide sur son lieu de travail du Pr Jean-Louis Mégnien a ébranlé la communauté hospitalière. Cinq mois après ce drame, et au regard des premiers éléments d’enquête, quel est votre plan d’action ?
Nous avons interprété ce drame, quels qu’en soient les ressorts intimes, comme un révélateur de problèmes qui avaient pu se produire dans le passé et que nous souhaitons désormais savoir traiter. Le directoire exceptionnel que j’ai réuni le 4 janvier a adopté un plan d’action. En clair, nous devions agir pour éviter que se cristallisent à nouveau des situations ou des conflits de cette nature. En trois mois, un groupe de travail l’a traduit en recommandations opérationnelles, qui sont d’application immédiate (lire page 3). Chacun a conscience de l’enjeu, qu’il exerce des responsabilités médicales ou administratives.
Quelles sont les mesures les plus novatrices ?
La première nouveauté, c’est de ne plus considérer que la gestion des ressources humaines des médecins se fait « hors des canaux » habituels de la gestion des RH. Par exemple, nous allons introduire l’entretien individuel annuel systématique pour tout médecin. C’est le bon sens mais cela ne se faisait pas. Le suivi de la carrière médicale était jusqu’à présent traité, souvent pour le meilleur mais parfois aussi pour le pire, sans ce formalisme utile qui permet d’objectiver, de détecter, d’accompagner...
Deuxième point : les responsabilités de management doivent désormais s’évaluer au long cours, avant la prise de fonction, pendant et après. L’expertise scientifique et le nombre de publications ne sont pas des critères suffisants. Pour tout futur chef de service ou de pôle, nous devons nous donner les moyens d’une offre de formation interne ou externe au management, d’une évaluation de l’expérience et d’une plus grande transparence.
La troisième innovation, c’est le lien permanent avec l’Université, partie prenante à tout le travail réalisé : il ne doit plus y avoir de divergence ou d’angle mort entre la dimension hospitalière et universitaire.
Vous créez un « vivier » de consultants et de praticiens volontaires pour désamorcer les conflits. Pour quelle raison ?
Pour traiter les situations complexes et conflictuelles, il faut des praticiens qui aient à la fois suffisamment de distance, pour ne pas être parties prenantes, et une très bonne connaissance de l’univers hospitalo-universitaire, parfois même de la discipline, pour être crédibles. Dans cette grande maison, on fera émerger des personnes ressources pour mener ces actions.
Vous envisagez également de faciliter la mobilité des praticiens…
Oui. La mobilité doit être vécue comme naturelle et non pas comme un échec ou une sanction. Changer d’hôpital ou de service, cela ne signifie pas reconnaître un tort ! Lorsque deux praticiens n’arrivent plus à faire équipe, ce n’est pas forcément une faute, mais c’est un dysfonctionnement qui doit être traité comme tel, avant que la situation s’envenime et que les patients ou les collègues en supportent les conséquences. Nous souhaitons que ces mobilités puissent être organisées de manière plus fluide, sans qu’elles puissent être assimilées à une mesure disciplinaire.
Y a-t-il encore trop de dérives liées au « mandarinat » à l’AP-HP ?
L’AP-HP a besoin de fortes personnalités qui entraînent les autres, mais qui ne fassent pas primer l’individualisme sur le collectif. On peut être excellent, charismatique, avoir du caractère, sans excès ni dérives. Nous ne cherchons pas à « niveler » pour avoir des profils lisses et sans saveur.
Vous avez conclu avec la CFDT un accord délicat sur l’organisation du temps de travail à l’AP-HP. L’un des enjeux de cette réforme est la synchronisation des temps médicaux et non médicaux. Ne craignez-vous pas de mécontenter aussi les médecins ?
Non. Les médecins ont été depuis le début en soutien de cette réforme et conscients qu’ils devaient contribuer au changement, de manière tout à fait responsable. La question centrale du temps de travail n’est pas le nombre de jours de RTT mais la construction d’une nouvelle organisation qui implique tout le monde – paramédicaux et médecins – et qui s’adapte aux conditions nécessaires à la bonne prise en charge des malades.
Des congés, cela se planifie, qu’on soit médecin ou infirmier. Des horaires, cela se respecte, quel que soit son statut, au bloc opératoire comme en consultation. Des organisations, cela se partage, en visant à ce que le malade ne subisse pas les contraintes des professionnels.
95 000 personnes dont 23 500 médecins travaillent dans les 39 hôpitaux de l’AP-HP. Par où commencer ce travail de fond ?
Transformer l’AP-HP requiert une démarche globale et non séquentielle. Médicaux et paramédicaux ont donc tout intérêt à travailler autrement à tous les niveaux, que ce soit sur l’organisation des transmissions, des staffs, des visites, des horaires de consultation ou d’ouverture des blocs opératoires.
Pourquoi ? Les conditions de prise en charge des patients en ce début de XXIe siècle sont radicalement différentes de celles de la fin du XXe siècle. L’hospitalisation de jour a évolué, la chirurgie ambulatoire se développe, l’hospitalisation à domicile poursuit une dynamique très forte. L’hôpital tourne plus vite. Ne pas nous réorganiser, c’est nous exposer à être toujours débordés.
Faute de mesures d’attractivité, les anesthésistes ont ouvert un nouveau front en menaçant l’AP-HP d’une grève des PH le 1er juin. Ils réclament notamment le passage en temps continu…
Nous ne sommes pas le laboratoire des revendications syndicales nationales ! Il n’y a pas de problème spécifique aux anesthésistes de l’AP-HP, dont la plupart ont conscience de l’intérêt d’exercer dans nos établissements. Ils ont contribué au rapport Hannoun et c’est dans le cadre de la mise en œuvre de plan de redynamisation de la chirurgie que nous pouvons discuter avec eux de leur implication et de leur satisfaction professionnelle.
Vous visez un taux de 45 % de chirurgie ambulatoire en 2019. Quelles sont vos marges de manœuvre ? Allez-vous supprimer des lits ?
Je constate une saine émulation parmi les équipes autour de la chirurgie ambulatoire, pratique qui concerne toutes les disciplines et tous les sites hospitaliers. En moyenne, un acte sur trois (30 %) est pratiqué en ambulatoire à l’AP-HP. L’hôpital Cochin a déjà franchi le seuil des 45 %. Pour d’autres établissements, la construction d’unités dédiées à l’ambulatoire sera nécessaire.
Il y a donc moins de lits en chirurgie, ce qui est logique, mais pas moins d’interventions. Le service rendu par un hôpital à la population et son leadership ne se résument pas à son nombre de lits. Ce n’est pas un hasard que dans les engagements pris à l’égard des partenaires sociaux, j’ai évoqué non pas le maintien des effectifs « au lit du malade », mais « au service du malade ». Ce n’est pas une subtilité sémantique mais la reconnaissance que l’intensité des soins augmente le jour et que nous devons en tenir compte, sans regarder uniquement les économies la nuit.
La CME de l’AP-HP s’est prononcée, pour la deuxième fois consécutive, contre le plan de financement pluriannuel de la direction générale. Les efforts réclamés sont-ils compatibles avec l’investissement du CHU ?
Si les efforts programmés – 150 millions d’euros d’efficience par an –, dont je mesure bien l’exigence, étaient incompatibles avec nos missions, je ne les aurais pas inscrits et assumés. L’avenir, c’est préserver l’emploi – d’où la réforme des organisations de travail – et conserver nos capacités d’investissement.
La CME a manifesté son inquiétude car elle ne veut pas que ses efforts soient vains. C’est pourquoi nous disons que lorsque l’AP-HP, comme c’est le cas, tient ses engagements, le contrat qui nous lie avec les pouvoirs publics doit être respecté et que nos missions d’intérêt général, notre capacité à innover doivent être impérativement préservées. Nous n’avons à rougir, ni de nos efforts, ni de nos résultats, ni de notre capacité à répondre quand on a besoin de nous.
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