Après un mois d'ascèse sous un soleil de plomb, les habitants du 101e département de France (qui compte 95 % de musulmans) s'apprêtent à rompre le jeûne du Ramadan. À Mayotte, la vie reprend son cours cette semaine, faisant craindre aux Mahorais une recrudescence de la violence. Les médecins de l'île eux aussi en sont persuadés. L'Aïd el-Fitr marque la fin du répit.
Mayotte subit une pénurie médicale chronique accentuée en 2016 par un climat d'insécurité qui décourage les nouveaux praticiens, fait fuir les plus anciens et entretient une tension palpable entre Mahorais et étrangers, pour beaucoup venus des Comores, archipel situé à 70 km des côtes françaises.
Département depuis 2011, Mayotte a décidé par référendum de rester française en 1974, contrairement au reste de l'archipel qui accède à l'indépendance. 40 ans d’instabilité politique plus tard, les Comores, s'enfonçant dans la pauvreté, maintiennent une forte pression migratoire sur Mayotte, aux répercussions sanitaires chaque jour un peu plus dramatiques.
Turn-over maximum
Au dispensaire (ou centre de référence) de Petite-Terre, île située en face de la préfecture Mamoudzou, médecins et infirmières voient quotidiennement des Comoriens de l'île d'Anjouan, interceptés par la police aux frontières alors qu'ils effectuaient la traversée à bord de frêles kwassas kwassas (pirogues à moteur).
La structure a enregistré 9 000 clandestins en 2015 et jusqu'à 300 passages en 24 heures. L'année dernière, une petite centaine d'entre eux ont reçu l'autorisation des médecins de rester sur le territoire pour des raisons sanitaires. Combien ont péri dans le lagon ? Impossible de le chiffrer. Près de 19 000 reconduites à la frontière ont été constatées.
À l'hôpital de Mamoudzou, les services débordent. Le turn-over est de 60 %. La moitié des praticiens sont contractuels ou remplaçants. L'activité des urgences a augmenté de 40 % en cinq ans. « Une salle de classe naît tous les jours à l'hôpital », résument les gynécologues-obstétriciens, pédiatres et sages-femmes. Attachés à leur métier, d'une grande richesse, et à leurs patients, beaucoup s'insurgent contre des conditions de prises en charge indignes, mettant en danger femmes et enfants (voir ci-dessous).
En ville, la médecine est en déshérence totale. Les rares cabinets libéraux ouverts ne désemplissent pas. Le Dr Luc Chèvres, généraliste d'un petit village à 30 minutes de la préfecture, affiche une patientèle de 10 000 âmes. Un seul cabinet de radiologie libérale et un centre de dialyse subsistent à Mamoudzou.
L'hôpital ne fait pas de politique
Depuis le début de l'année, des collectifs d'habitants ont mené des chasses à l'homme et des « décasages » (expulsions arbitraires) d'un autre âge de milliers de Comoriens, avec ou sans papiers.
Plus récemment, des coupeurs de route à l'identité inconnue dépouillent certains véhicules. Sans être pris directement pour cibles, les médecins et cadres de la santé ressentent le poids de cette défiance entre les communautés. « Nous accueillons tous les patients selon le degré d'urgence, explique Catherine Barbezieux, directrice adjointe du Centre hospitalier de Mayotte (CHM). Une hypothermie ou une fracture ouverte liées à une traversée en kwassa, c'est une urgence. La population nous le reproche alors que l'hôpital ne fait pas de politique. »
Les établissements ont atteint au printemps le « seuil d'effondrement », selon les mots du Dr Anne-Marie de Montera, qui préside l'Ordre local. En mai, les hospitaliers du CHM ont mené une grève de plusieurs jours pour dénoncer la saturation de l'ensemble des services. Dans le gros dispensaire de Dzoumogné, au nord, 180 patients attendaient chaque matin les trois médecins de la structure… La médiatisation des épisodes de violence faisant son effet, l'établissement a subi plusieurs désistements.
110 recrutements sur le papier
Le gouvernement tente depuis plusieurs semaines de juguler la crise en envoyant en renfort plusieurs dizaines de médecins, sages-femmes et paramédicaux réservistes de l'EPRUS (urgences sanitaires). À plus long terme, Matignon a rappelé les objectifs sanitaires du programme Mayotte 2025 : renforcer la PMI, créer un nouvel hôpital en Petite-Terre et rénover le plateau technique du CHM.
Marisol Touraine s'est engagée à débloquer 14 millions d'euros (sur le milliard prévu par la stratégie de santé pour les Outre-mer). Ce pécule doit permettre de recruter 110 hospitaliers supplémentaires (dont 40 sages-femmes) et de déplafonner les heures supplémentaires pour les agents, qui percevront dès juillet une prime de 500 euros chacun.
Côté médecins, quatre postes de généralistes (un par centre de référence) ont été ouverts. Créée en 2014, l'indemnité particulière d’exercice (IPE) sera renouvelée en septembre. Ce coup de pouce de 16 mois de salaire est versé aux praticiens hospitaliers en contrepartie d'un engagement de quatre ans.
« 60 % des PH perçoivent déjà cette prime, rappelle avec amertume le Dr Gérard Javaudin, qui préside le syndicat local des PH. Depuis 2011, la départementalisation applique à Mayotte le droit fiscal de la métropole. Résultats : l'IPE sert à payer les impôts, et on vit toujours derrière des barreaux. Nous sommes toujours les oubliés de la République. »
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