Quand vous arrivez sur le site du bataclan, quelle est la situation ?
Plusieurs forces de police sont déjà intervenues, à commencer par un commissaire de la BAC qui a courageusement arrêté la tuerie en neutralisant un premier terroriste. Dans la demi-heure qui a suivi, la BRI est entrée et montée au deuxième étage, et l'échelon rapide d'intervention est également à l'intérieur. J'entre avec les 20 hommes du RAID. Il y a donc beaucoup de monde sur place.
On sait alors que 3 ou 4 terroristes sont retranchés dans le bâtiment et on craint qu'une bombe soit toujours dans la salle. On est donc dans une zone de danger interdite aux secours. Les murs du Bataclan sont très fins, facilement transperçables par des tirs de Kalachnikov ou une explosion.
Vous attendiez-vous à une tuerie d'une telle ampleur ?
Notre doctrine et notre entraînement nous avaient préparés à ce genre de situation, mais cela ne nous a pas empêchés d'être surpris. La force du RAID, c'est d'accepter cette surprise et de s'y adapter. Si on n’accepte pas l'imprévu, on ne peut pas offrir de réponse adaptée. C'est la réalité qui s'impose à nous, pas l'inverse.
Que faites-vous dans un premier temps ?
Il y avait 20 victimes entassées dans l'entrée et 80 dans la fosse. Dans un premier temps, je ne les regarde même pas et commence par choisir un lieu pour le nid de blessés. J'ai fait appel aux policiers pour organiser la petite noria* vers les points de regroupement des blessés en attente d'évacuation par la grande noria. Ces policiers n'avaient pas l'habitude de ce genre d'exercice et ont été absolument exceptionnels malgré quelques incompréhensions : l'un d'eux ne comprenait pas que je ne m'occupe pas d'une victime en train de mourir. Je lui ai répondu que beaucoup d'autres victimes étaient mourantes dans le bâtiment.
Quels sont les gestes que vous avez pu faire sur place ?
Avec un tel volume de blessés, il est impensable d'intuber ou d'endormir une victime. Nous faisons un tri directement dans la fosse à laide de bâtons lumineux : rouge pour les décédés ou piégés, jaune pour les blessés les plus graves et un dernier pour les blessés les moins graves.
L'analyse clinique très succincte : on se contente de regarder la couleur, la localisation des impacts d'entrée et éventuellement de sortie, et de voir si le patient parle normalement. C'est là que l'expérience entre en jeu pour prendre les bonnes décisions et ordonner aux policiers qui évacuer en priorité.
Dans le nid de blessé, on a fait des bandages compressifs et des garrots, en dehors de ça, deux pneumothorax ont été exsufflés dans la fosse. Notre obsession, c'est extraire les blessés et les amener le plus vite possible à l'hôpital.
Les médecins des forces d'intervention sont censés soigner les combattants, mais en pratique, on ne s'interdit rien. Si j'ai un policier blessé à la main et un otage ou même un terroriste grièvement blessé, ce n'est pas le policier que je traiterais en premier.
Comment s'est passé l'assaut sur les 2 derniers terroristes ?
C'est la BRI qui a mené l'assaut, le RAID s'est positionné pour empêcher la fuite des terroristes. Il n'y a alors plus de victimes vivantes au rez-de-chaussée, mais 80 autres dont 3 blessés, nous attendaient à l'étage. Nous les avons évacuées par les balcons extérieurs avec des échelles installées par les pompiers. Il a fallu faire preuve de diplomatie pour faire descendre des impliqués traumatisés par les 2 heures d'enfer qu'ils venaient de vivre.
Quels enseignements a-t-on tirés de cette nuit ?
Notre analyse a confirmé la nécessité d'une coordination entre les différentes zones et avec l'hôpital. La zone de danger interdite au secours et la zone de secours interdite au danger doivent être fluides et bien interconnectées. Nous avons compris qu'il fallait qu'un officier sapeur-pompier soit intégré à notre dispositif pour faire le lien avec son propre commandement.
Nous sommes aussi en train de mettre en place avec la DRH police nationale une formation secours destinée à l'ensemble des policiers de France qui sont toujours les premiers sur place. Un dernier axe d'amélioration est de former et sensibiliser le grand public. Les Américains sont en avance avec l'installation de « trauma box » à côté des défibrillateurs externes.
On parle aussi de la mise en place d'un brevet pour les aspirants médecins du RAID…
Le RAID est l'échelon central avec 6 médecins sous contrats sélectionnés et entraînés. Il y a aussi 10 antennes RAID sur l'ensemble du territoire. Ces antennes sont des équipes de 20 opérateurs du RAID qui ne peuvent pas avoir de médecins contractuels. Des médecins signent donc une convention et ne viennent que pour du soutien opérationnel. On essaye de leur faire profiter de notre expérience. Ils devront valider ce brevet pour garantir leur bagage technique. Il y aura aussi une évaluation physique et psychologique.
* Une noria est une allée et venue ininterrompue de moyens de transport. Dans le cadre d'une intervention sur un site d’attentat, la petite noria est assurée par la police qui sort les patients de la zone de danger, tandis que la grande noria les achemine vers les hôpitaux.
* Dans un ouvrage « Médecin du Raid : vivre en état d'urgence », écrit en collaboration avec Frédéric Ploquin, il livre un récit complet de cette nuit au Bataclan, Albin Miche, 208 p., 15,90 euros.
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier
Soumission chimique : l’Ordre des médecins réclame un meilleur remboursement des tests et des analyses de dépistage
Dans les coulisses d'un navire de l'ONG Mercy Ships