C’est un témoignage fort et édifiant qu'a livré, pendant près d'une heure, le maire démissionnaire de la commune de Saint-Brevin-les-Pins (près de 15 000 habitants) devant la commission des lois du Sénat. L’édile, qui est aussi médecin généraliste dans cette station balnéaire de Loire-Atlantique qui l’a accueilli « il y a 32 ans », était auditionné ce mercredi pour expliquer les raisons qui l’ont poussé à présenter sa démission. Cette audition devait aussi permettre aux sénateurs de déterminer si les services de l’État ont failli dans leur mission de protection des élus et comment améliorer la législation en la matière.
Le 22 mars dernier, un incendie, vraisemblablement d’origine criminelle, détruisait les deux véhicules et se propageait au domicile du Dr Morez et de son épouse. Ce départ de feu, qui n’a pas fait de victimes, est le point culminant des tensions qui agitent la commune depuis le projet de déplacer près d'une école le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) qui a ouvert à Saint-Brevin en 2016, après le démantèlement de la « Jungle de Calais ».
Tensions crescendo
Posé, calme et précis, Yannick Morez a remonté le déroulé des événements, qui remontent à 2016. « Notre commune a accueilli, dans un ancien bâtiment, des réfugiés migrants. À l’époque, tout s’était à peu près bien passé. Certains administrés avaient même monté une association d’aide et de soutien. Seuls quelques individus, la plupart proches de l’extrême droite, y étaient hostiles [deux coups de feu ont tout de même été tirés sur le bâtiment vide] mais dans l’ensemble, l’accueil s’est fait sans heurts. »
Mais à partir de 2018, les choses vont prendre une toute tournure. Le Dr Morez apprend que le Cada est prévu pour rester sur sa commune de façon pérenne mais doit déménager à côté d’une école maternelle et primaire. « L’État, qui a validé le site, n’a pas souhaité communiquer sa décision à la population et a laissé au conseil municipal le soin de le faire », souligne le médecin.
C’est le début de tensions qui vont aller crescendo. Un collectif d’opposants au projet se monte, se manifeste sur les réseaux sociaux, une pétition circule, plusieurs manifestations sont organisées, des tracts sont déposés dans les boîtes aux lettres des habitants, quand ils ne sont pas directement glissés dans les cartables des élèves de l’école primaire…
« On ne peut rien faire »
« Durant tout ce temps, je n’ai cessé de contacter régulièrement la gendarmerie, la sous-préfecture et la préfecture », raconte le maire. Peine perdue. La réponse quasi-systématique de la gendarmerie ? « Liberté d’expression, on ne peut rien faire. »
Le 25 février, 250 personnes, « dont la plupart n’étaient pas de Saint-Brevin et émanaient de groupuscules d’extrême droite », déboulent dans la ville. Face à eux, des membres de « l'ultragauche », qui a fait le déplacement pour en découdre. « Vous imaginez le choc des habitants », résume le Dr Morez qui fait face aussi à des dépôts de tracts d’intimidation dans sa propre boîte aux lettres.
Borne témoigne son soutien
Jusqu’à l'incendie du 22 mars, donc, qui le conduit à présenter sa démission et à vouloir quitter « sa » ville où il vit depuis plus de 30 ans. « Durant tout le temps de ces événements, le conseil municipal et moi-même, nous nous sommes sentis démunis, seuls et abandonnés par les services de l’État. En tout et pour tout, je n’ai eu que deux fois le préfet au téléphone », relate-t-il, sans aigreur, sur le ton ferme du constat.
En début de soirée, le généraliste et maire devait être reçu par Élisabeth Borne. Nul doute que sa parole sera, là aussi, écoutée avec attention. La Première ministre veut « témoigner de son soutien au maire et à l’ensemble de celles et ceux qui, dans l’exercice de leurs mandats, sont confrontés à des menaces et des agressions », assure Matignon. Avec quelle traduction concrète ? En attendant, les habitants de Saint-Brevin ont aussi perdu leur généraliste.
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