LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN. Comment expliquer les ruptures de stocks ou les arrêts de commercialisation d'antibiotiques ?
Dr SERGE ALFANDARI. Certaines molécules n'ont parfois qu'un seul fournisseur de matière première et/ou une seule usine de fabrication. Si un rouage se bloque, c'est l'arrêt de commercialisation à plus ou moins court terme.
Quelles sont les ruptures les plus récentes ?
Elles concernent quatre produits depuis le début de l'année. Il s'agit du thiamphénicol, de la fosfomycine injectable, des pénicillines M injectables et de la forme orale du linézolide, utilisée dans les infections à staphylocoques multirésistants. Ce dernier vient d'être génériqué, le fabricant en produit donc moins et les industriels génériqueurs n'ont pas encore la capacité de le produire. Le thiamphénicol est peu utilisé, sa rupture ne crée pas de problème majeur. En revanche, la rupture d'approvisionnement en pénicillines M injectables, dont la cloxacilline, représente un véritable souci. En général, il s'agit de produits anciens, génériqués et de faible coût.
Ce qui veut dire que ces produits n'intéressent plus les industriels ?
C'est une façon de voir les choses… On ne peut que constater que l'industrie pharmaceutique n'a jamais de problèmes de production concernant les médicaments coûteux.
Est-ce que ces ruptures de stock sont préjudiciables à la prise en charge thérapeutique ?
Il existe des alternatives dans un certain nombre de cas. Mais prenons le cas des pénicillines M. On sait que ce sont les antibiotiques les plus efficaces dans le traitement des endocardites et des bactériémies à staphylocoque doré. On a certes des alternatives, mais moins performantes. Pour la plupart des patients, cela ne posera peut-être pas de problème mais, pour certains, la diminution d'efficacité peut être signifiante.
Ajoutons que des alternatives à plus large spectre induisent un risque écologique important. Si on prend l'exemple de l'extencilline IM, pour le traitement de la syphilis, on peut utiliser d'autres médicaments mais moins efficaces. Les échecs de traitement sont donc plus importants. Dans ce cas, on importe une spécialité italienne en ATU nominative, ce qui veut dire que le médecin de ville ne peut plus traiter les syphilis. Et ce n'est pas très économique pour le système de santé…
Quelles mesures sont ou vont être prises pour informer sur la pénurie et sur les alternatives ?
La pénurie d’extencilline dans la syphilis a donné lieu à la publication de propositions d’alternatives par les sociétés savantes d'infectiologie et de dermatologie. Celle de fosfomycine, sur demande de l’ANSM, a conduit les infectiologues et les pédiatres à proposer une priorisation des indications de la fosfomycine IV, les stocks ne permettant de couvrir que quelques semaines de consommation. Enfin, la pénurie de pénicillines M injectables a amené ces mêmes spécialistes, toujours à la demande de l’ANSM, à proposer des alternatives pour le traitement des infections à staphylocoque doré sensible à la méticilline.
Pourquoi ne pas importer ?
S'il n'existe qu'un seul producteur mondial, c'est impossible. Dans le cas des pénicillines M, nous utilisons essentiellement en France la cloxacilline et l'oxacilline. Les Américains ont recours à la nafcilline, laquelle n'a pas l'AMM en France. Si la pénurie se prolonge, l'ANSM ne serait pas opposée à l'importation de la nafcilline mais sous un système d'ATU extrêmement lourd.
Quelles solutions peuvent être envisagées pour que ces problèmes ne se reproduisent pas ?
L'essentiel des ruptures concerne des produits génériqués. On peut, dans l'idéal, imaginer une industrie européenne productrice de génériques. On peut aussi réfléchir à un système de contrats d’anticipation avec des engagements d’achat d’un certain volume d’antibiotiques, assorti de pénalités financières lourdes (et pas symboliques) en cas de défaut de production.
Ces mesures, selon vous, limiteraient une certaine incurie industrielle ?
C'est un problème de santé publique qui concerne des produits stratégiques. Il faut que les industriels soient capables de produire. Ce qui implique le développement d’une législation qui les motive. Ce serait une meilleure solution que celle, préconisée par certains, de leur enlever purement et simplement le brevet. Il faut, de notre côté, être proactifs vis-à-vis des pénuries annoncées par les industriels et essayer de réagir sans catastrophisme. Tous, nous devons anticiper.
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