LE QUOTIDIEN : Devant le Parlement, vous avez évoqué le CCNE comme une instance particulièrement intéressante, mais quelque peu éloignée des citoyens. Comment espérez-vous le faire évoluer ?
Pr DELFRAISSY : Le CCNE est une superbe création, car c'est un organe de réflexion sur de grandes questions éthiques autour du biomédical ; de plus, totalement indépendant.
Je ne suis pas un éthicien professionnel ; je suis un médecin, fondamentalement, et un chercheur, et j'essayerai d'être un éthicien du bon sens. L'éthique ne part pas d'en haut pour descendre ensuite sur le peuple qui écouterait les bonnes paroles.
Je souhaite qu'on rapproche la réflexion éthique de nos concitoyens. Depuis 30 ans, je travaille avec les patients, les associations, les ONG, qui ont leur mot à dire jusque dans la construction de la recherche. Il ne s'agit pas seulement de les écouter, de les auditionner. La révision de la loi de bioéthique devrait être l'occasion de nous interroger sur comment la société civile peut être membre à part entière du CCNE. Quant à savoir qui choisir comme représentant… Il existe de grandes figures au parcours très riche !
Quels sont les projets que vous souhaitez porter, ces prochains mois ?
Plusieurs groupes de travail ont été constitués sous la présidence de mon prédécesseur. Je les rencontre, je me plonge dans leur travail et je m'en imbibe. Comme Jean-Claude Ameisen, j'estime que le CCNE doit s'occuper des questions éthiques soulevées par les progrès de la science dans le biomédical, ainsi que des rapports entre santé et société.
Quelles questions éthiques se posent sur « santé et migrants » ? On aborde souvent ce sujet sous l'angle politique. Mais on manque de données. Un groupe de travail a déjà écouté les grandes associations et les chercheurs…
Un deuxième se penche sur le vieillissement, très médicalisé en France… Alors que la vision des anciens pourrait être tout à fait différente, comme on le voit dans d'autres civilisations.
Un troisième groupe réfléchit à l'accès à l'innovation thérapeutique. Les nouvelles thérapies contre le cancer coûtent 700 000 euros par an pour un patient : que faire ? Peut-il y avoir un tirage au sort ? L'accès sera-t-il le même à Paris et en province ? Les big pharma ont un retour sur investissement plus important que Louis Vuitton. Or peut-on vendre un médicament comme une savonnette ou une voiture de sport, alors que cela met sous tension notre système de santé ? N'y a-t-il pas un droit à la santé universel ? Si le CCNE n'est pas là pour le rappeler, qui le fera !
Par ailleurs, nous devrions aussi sortir d'ici la fin de l'année des rapports sur santé-environnement et sur les biotechnologies (notamment, les outils de modification du génome). Sortir plus d'avis, plus vite, n'est pas une fin en soi. Mais cela devrait permettre de rapprocher la CCNE de la société, et de faire mieux entendre sa parole.
Vous avez également annoncé pour le printemps 2017, la sortie de l'avis sur l'assistance médicale à la procréation (AMP), très attendu depuis deux ans…
Je peux vous dire qu'on sortira ce rapport au printemps 2017, début avril. C'est un sujet très difficile, qui évolue, mais il est temps que le CCNE accouche de ce texte. Cela devrait être une prise de position globale sur l'AMP, qui aborde la gestation pour autrui (GPA), l'autoconservation ovocytaire, l'anonymat du don. On devrait aussi mettre en lumière le sujet des enfants issus de ces techniques et les questions de filiation.
Je souhaiterais qu’on aille, à défaut d’un consensus, vers quelque chose de partagé, quitte à présenter, dans une contribution annexe, le point de vue d'une minorité.
Nous aurons certainement des critiques. Mais on ne peut pas demander d'un côté que les gens mènent leurs propres réflexions de manière autonome, et de l'autre, que le CCNE décrète où est le bien et le mal. Cet avis sera une base pour qu'un dialogue s'installe au sein de la société civile. Il ne faut pas oublier que la loi de bioéthique devrait permettre de faire bouger les choses et d'aller plus loin.
Comment envisagez-vous cette révision de la loi de bioéthique ?
La loi de bioéthique doit être revue en 2018, et eu égard à la sensibilité du sujet, je ne pense pas que ce calendrier soit (beaucoup) reporté. La révision doit être préparée par une série de propositions du CCNE, et je voudrais pour cela m'appuyer sur des débats citoyens. Pour les organiser, je désire une interaction forte entre le CCNE parisien et les espaces éthiques régionaux, afin de tenir compte de la pensée de nos concitoyens de province.
Ce travail pourrait aussi être l'occasion de revenir sur la fin de vie, qui, aussi fondamental que soit le sujet, n'est pas dans l'agenda immédiat de 2017.
Quelles sont enfin vos ambitions à l'échelle internationale ?
Je vois deux aspects. D'abord, que fait l'Europe en termes de bioéthique ? Une réunion avec nos collègues anglais et allemands est prévue début mai.
Ensuite, je pense que l'Afrique francophone est un enjeu essentiel pour la maison France, au-delà même de l'éthique. Dans la lutte contre le sida ou contre Ebola, ces pays se sont montrés très demandeurs d'une coopération sur les aspects éthiques et j'ai ainsi contribué à réactiver certains comités en Guinée lorsqu'il a fallu lancer des essais cliniques. Je pense que la France peut porter avec nos collègues d'Afrique de l'Ouest, une réflexion éthique francophone, distincte de la vision anglophone.
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