LE QUOTIDIEN : Quelles sont les leçons à tirer de cette épidémie ?
Pr JEAN-FRANÇOIS DELFRAISSY : Cette épidémie était sans précédent… Même si l’on ne sait pas encore très bien pourquoi. Le virus était identique à ceux des épidémies précédentes mais des facteurs environnementaux sont à l’origine de la gravité de l’épidémie : l’état des systèmes de santé, la déforestation, la plus grande mobilité des populations etc.
Pourquoi cette épidémie a pris une telle ampleur dans ces trois pays ? Pourquoi d’autres pays comme la Côte d’Ivoire n’ont pas été touchés ? Cela reste un important point d’interrogation.
CHRISTINE FAGES : On peut lutter pendant 24 mois contre une épidémie et ne toujours pas savoir comment elle s’est déclenchée. Cela en dit long sur notre manque de connaissance sur la dynamique des épidémies. Il va falloir progresser dans beaucoup de domaines : scientifique sociologique et anthropologique.
La Guinée est un pays de l’Afrique Francophone que nous connaissons bien, ce qui ne nous a pas empêchés d’échouer dans nos tentatives de communication avec le public. Cela a joué lors des phases de relance du virus, quand les populations avaient des comportements à risque et étaient imperméables aux conseils des organisations internationales. C’est un vrai sujet pour l’avenir : on ne lutte efficacement contre une épidémie qu’avec la société civile.
Comment assurer la rapidité de la réponse internationale aux futures crises ?
C F : Les ONG sont actuellement les seules à pouvoir se déployer très rapidement pour essayer de contenir l’épidémie. Les organisations internationales ont besoin de davantage de temps pour évaluer la situation et mettre en place une réponse cohérente. Seules les ONG peuvent gagner ce temps et empêcher la situation de se dégrader. Elles doivent pouvoir compter sur des budgets et des ressources humaines médicales et logistiques. MSF a pu se déployer seul, nous avons alloué des moyens via la Croix Rouge française, WAHA, mais c’est quelque chose qu’il va falloir structurer. Des budgets d’urgence à mobiliser rapidement doivent être constitués.
JFD : La crise sanitaire ne figure pas suffisamment dans l’agenda des organisations internationales et c’est une erreur car il ne faut pas se faire d’illusion avec ce qui vient de se passer en Afrique de l’Ouest : nous avons eu de la chance. Si demain nous affrontons un virus de type grippal, un peu muté, un peu plus mortel et qui se transmet par voie aérienne, nous nous retrouverons face à une pandémie très grave.
Vous mettez en avant le rôle des ONG, mais sont-elles d’accord pour assumer ce rôle de première ligne ? Elles ont affirmé qu’elles ne voulaient pas se substituer aux états et être laissées seules face aux urgences sanitaires.
C F : Quand une ONG part en mission, la meilleure garantie que l’on peut lui offrir, c’est celle d’être relevée. Ce que veut savoir une ONG « première entrée », c’est de savoir qu’elle va pouvoir partir et que la relève sera assurée. C’est tout l’enjeu d’une organisation préparée à froid : pouvoir monter en 90 jours une réponse plus structurée, capable d’occuper le terrain sur le plus long terme.
JFD : Un membre d’une ONG est capable de partir en 48 heures Dans le cadre d’une réponse plus institutionnelle, la même personne va se heurter à des blocages. Ce qui a manqué lors de cette crise, c’est que l’OMS n’a pas joué un rôle de soutien et de coordination pendant la première phase de l’épidémie où des ONG comme MSF étaient seules à pied d’œuvre.
Quel bilan tirez-vous de votre organisation en Task Force ?
C F : La task force Ebola est un bon exemple de réaction nationale pluridisciplinaire, qui fonctionne. C’est ce qui a permis de mobiliser les savoir faire de l’État y compris danns des domaines inédits. Les Ministères ont joué le jeu. La sécurité civile s’est mobilisée pour organiser des formations très professionnelles et pour équiper les centres de traitement. L’EPRUS a envoyé ses réservistes, le SSA a mis en place un centre de traitement des soignants qui fait référence. Ces services ont acquis des compétences qui pourront être utiles si une nouvelle crise survient. Il faut rendre hommage aux personnels français qui sont partis, sans hésiter, sur une base volontaire, en Guinée y compris au plus fort de l’épidémie.
JFD : Rien n’aurait été possible sans une mobilisation politique au plus haut niveau et des ministres concernés. Les crises sanitaires ne peuvent être gérées uniquement par des médecins. Pour les questions de recherche, il ne suffit pas qu’un chercheur vienne avec une question scientifique et un protocole pour qu’un projet se lance. S’il y a toute la machine diplomatique derrière lui, on va beaucoup plus vite. Une des choses que l’on a apprise, c’est que les opérateurs sanitaires comme Alima peuvent se révéler des opérateurs de recherche efficaces. Cela a été le cas avec l’essai JIKI sur le favipiravir.
À combien se chiffre l’engagement financier de la France lors de cette crise ?
C F : 120 millions ont été débloqués dans l’urgence et 150 au moment de la phase de transition.
JFD : Ces chiffres tiennent compte du budget mobilisé directement, ùais il faut y ajouter les salaires et aussi du financement international, et notamment européen via la commission européenne du développement et de la coopération (DEVCO) qui a joué un rôle essentiel.
On a beaucoup vu l’action des pays, l’Union Européenne a-t-elle également joué un rôle ?
C F : L’UE a permis la mise en commun de moyens, par exemple maritimes ou aériens pour acheminer le matériel. Le service d’aide humanitaire et de protection civile de la Commission européenne (ECHO) a accompagné les États membres en mobilisant rapidement expertise comme financement et en œuvrant à la coordination. Nous avons pu utiliser les moyens généralement employés en cas de catastrophe comme les incendies et les adapter. Du point de vue de la recherche, l’Union Européenne a lancé un appel d’offres dès octobre 2014.
Quelles sont les structures financées par la France qui resteront en Afrique de l’Ouest pour prévenir ce genre de catastrophe à l’avenir ?
C F : Des équipes de l’alerte et de riposte régionales, formées, continueront leur travail : deux équipes ont déjà été lancées en septembre et Expertise France, lagence française d’expertise technique internationale, est en train d’en former 6 autres. La France finance également l’acquisition par la Guinée de capacités de diganostic : Pasteur et Mérieux animent un projet de formation, constitution de laboratoires de référence, le matériel des laboratoires des centres de traitement de Macenta et de Konacry est en cours de transfert aux autorités guinéennes. Au niveau régional, le projet RIPOST, piloté par l’agence française du développement, doit permettre de remettre à niveau et en réseau les instituts de santé publique pour pour permettre une professionnalisation des fonctions de surveillance, en lien avec la constitution du CDC ouest africain. Enfin, nous agissons également dans le domaine de l’hygiène hospitalière, toujours via Expertise France.
JFD : Ce réseau RIPOST est d’un type nouveau, il s’appuie sur les nouveaux lanceurs d’alerte issus de la société civile et sur le réseau des téléphones cellulaires. Ce système d’alerte et surveillance est global, et servira contre tous les autres risques. Du point de vue de la recherche, l’investissement de l’INSERM et de l’IRD va se poursuivre, notamment à travers la cohorte de survivants PostEboGui et les essais vaccinaux.
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier
Soumission chimique : l’Ordre des médecins réclame un meilleur remboursement des tests et des analyses de dépistage
Dans les coulisses d'un navire de l'ONG Mercy Ships