LE QUOTIDIEN : Quelles étaient vos motivations pour participer au livre « Médecine en Danger » qui fait un constat alarmant de l’hyperadministration de la pratique des médecins ?
STÉPHANIE ROHANT : Ma famille a été confrontée à une descente aux enfers brutale et inattendue qui a débuté en mai 2007 par un contrôle d’activité déclenché par des services du contentieux de notre caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Cet engrenage, qui a duré plus de 5 ans, a entraîné notre couple et notre famille dans une avalanche de procès. Il nous a fallu garder la tête haute – et cela n’a pas été facile tous les jours – pour continuer à avancer sans se préoccuper du regard des autres.
J’ai tenu à témoigner car cette procédure peut survenir à tout moment dans l’exercice d’un médecin libéral. Je souhaite que le livre puisse aider des médecins qui vivraient la même situation puisqu’un professionnel de santé qui passe par ce parcours est une personne en souffrance. Et par ricochet sa famille et ses patients sont eux aussi en souffrance.
Remettez-vous en cause le bien-fondé des contrôles administratifs des médecins ?
Pas du tout, ces contrôles sont nécessaires, ils ont été votés par nos élus. Je ne jette pas l’opprobre sur les professionnels des caisses locales. Un médecin a des devoirs : il est sous le joug de la CPAM qui fixe les règles. Je ne suis pas vindicative, ni emplie d’aigreur envers la Sécurité sociale. Je ne suis pas contre les contrôles, mais je condamne la pression administrative sous toutes ses formes.
Depuis 2004, les directeurs de caisse disposent de nouveaux pouvoirs : ils peuvent imposer au médecin de produire à l’organisme qui le contrôle toute la saisine de son activité. Le médecin peut être sanctionné soit par le tribunal des affaires sociales et sanitaires soit par la caisse elle-même qui devient de facto juge et partie. Il serait souhaitable que les deux parties tentent ensemble de trouver des solutions sans engager un arsenal judiciaire éprouvant. Les praticiens ne sont pas à armes égales : certains craqueront, se suicideront ou se retrouveront en plein burn out avec une incapacité totale de faire face.
Comment décrieriez-vous l’activité médicale de votre mari qui a été remise en cause par la CPAM ?
Étienne, mon époux généraliste dans une ville de taille moyenne en province, peut avant tout être décrit comme un soignant particulièrement empathique. Il recevait depuis vingt ans du lundi au vendredi sans rendez-vous. Théoriquement, son cabinet était ouvert de 7 h 30 à 19 heures. Mais très régulièrement, il fermait beaucoup plus tardivement car il avait pour principe de voir tous les patients de sa salle d’attente et de soigner toutes les personnes qui franchissaient sa porte avec la même rigueur. Cela impliquait pour lui de rentrer très tard à la maison et de passer moins de temps avec nos filles. En moyenne, il voyait 53 patients par jour, avec des pics jusqu’à 80. Étienne était le sixième prescripteur de la ville. Sa patientèle était constituée à 40 % de bénéficiaires de la CMU, proportionnelle à celle des bénéficiaires d’allocations dans le quartier où il était installé. Il avait décidé de pratiquer le tiers payant afin que les patients qui ne pouvaient pas avancer le prix de la consultation puissent quand même bénéficier de soins. Régulièrement, il réalisait aussi des actes gratuits pour les personnes particulièrement démunies.
Racontez-nous le parcours de son litige avec la CPAM.
La procédure a duré 5 ans. Tout a commencé en mai 2007 avec une lettre recommandée avec accusé de réception pour une « mise sous contrôle de l’activité ». Il s’en est suivi des convocations de ses patients à la CPAM, un entretien confraternel de 6 heures, une entrevue de conciliation avec le conseil de l’Ordre, le recours à un avocat, une enquête de police pour escroquerie, actes fictifs, faux et usage de faux, une saisie conservatoire des créances à une hauteur de 100 400 euros pour actes fictifs et désagrément occasionné aux services du contentieux, un procès, une relaxe pour les chefs d’escroquerie de faux et usage de faux, une amende de 1 000 euros avec sursis pour faits de fraude ou fausses déclarations pour obtenir des prestations ou allocations indues versées par un organisme de Sécurité sociale (il s’agissait d’erreurs de dates sur les tiers payants) et une autre de 1 euro symbolique à la caisse pour avoir renouvelé des traitements à des patients sans les avoir vus. La CPAM fait appel de la décision. En 2012, la chambre disciplinaire du conseil de l’Ordre a sanctionné mon mari et suspendu son exercice pour 9 mois, sans que la motivation de cette sanction soit claire. En novembre 2012, Étienne a été convoqué en cour d’appel, et le verdict de nullité de procès a été rendu le janvier 2013. Aujourd’hui, mon mari a repris son activité. Il ne reçoit plus que sur rendez-vous et limite son nombre de consultations à 50 au maximum par jour.
Quel est votre regard d’épouse sur le contrôle vécu par votre mari ?
Ce parcours m’a déstabilisée, tout comme nos enfants et mon mari. En tant que conjointe collaboratrice, je me suis sentie mise en cause, et ce particulièrement au moment de l’enquête de police. J’ai aussi vécu des moments de difficulté lorsque l’activité de mon époux a été suspendue. J’ai eu peur des conséquences d’autant plus que j’avais déjà entendu parler de suicides de médecins. Nos enfants ont subi la médiatisation du procès et la suspicion d’escroquerie qui planait sur notre famille. Les patients de mon mari ont aussi été affectés puisque durant le temps de la suspension, ils ont dû changer de médecin traitant et ont eu parfois du mal à être pris en charge dans notre ville où tous les médecins ont une activité particulièrement fournie. Mais ils ont en très grande majorité fait confiance à mon époux et les consultations ont très rapidement repris en fin de suspension.
Je pense plus globalement qu’aujourd’hui, la médecine libérale perd de sa superbe : des lois liberticides sont votées à l’encontre des médecins. La profession est touchée, le gouffre abyssal des dépenses de santé est en permanence mis en avant par la Cour des comptes. Il faut donc désigner des coupables, faire des exemples afin d’enrayer la liberté totale d’exercice des différents professionnels de santé qui vont devoir se plier aux exigences de la comptabilité du gouvernement.
* Dr Jean-Christophe Seznec et Stéphanie Rohant, « Médecine en danger », septembre 2016, Édition First Document
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