Une expérience pilote réussie dans 3 CHU

Prise en charge des violences sexuelles en Belgique

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Publié le 19/09/2019
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Trois hôpitaux belges se sont dotés, en 2017, de centres de prise en charge des violences sexuelles. Objectif : centraliser toutes les étapes de la prise en charge pour mieux accompagner les victimes. Après deux ans d’exercice, le bilan est positif. Reportage.
Pour plus de discrétion, le CPVS partage ses locaux avec le planning familial. Une manière de ne pas stigmatiser les victimes au moment de leur arrivée.

Pour plus de discrétion, le CPVS partage ses locaux avec le planning familial. Une manière de ne pas stigmatiser les victimes au moment de leur arrivée.
Crédit photo : Benjamin Leclercq

Voilà bientôt deux ans, la façade du planning familial du quartier des Marolles, dans le centre de Bruxelles, s'est dotée d'une nouvelle plaque. Petite et discrète, tout près de l'interphone, celle-ci annonce, en quatre lettres, « CPVS », une véritable révolution en matière de soins : ici se trouve l'un des trois Centres de prise en charge des violences sexuelles de Belgique.

Ce dispositif pilote, lancé en 2017 dans trois grands hôpitaux du pays (l'hôpital universitaire de Gand, le CHU de Liège et le CHU Saint-Pierre de Bruxelles), s'est donné pour mission d'offrir aux victimes de violences sexuelles un espace adapté et une prise en charge globale. « L'objectif fondamental du CPVS est de réunir, en un même lieu, l'ensemble des étapes nécessaires à la bonne prise en charge des victimes : soins médicaux, protocole médico-légal, assistance psychologique et démarches judiciaires », explique Chiara Vanhaverbeke, sage-femme. Soit une seule et bienveillante adresse, plutôt que le parcours fragmenté habituellement infligé aux victimes (commissariat, urgences, gynécologue, etc.), véritable chemin de croix pour qui vient de subir un traumatisme physique et psychologique.

« À Saint-Pierre, nous avons commencé dès 2008 à remettre en cause notre manière de faire, qui n'était pas la bonne, se souvient le Dr Christine Gilles, gynécologue et médecin responsable du CPVS de Bruxelles. Et puis a émergé une volonté politique, au lendemain de la ratification de la Convention d'Istanbul par la Belgique en 2016 [Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, NDLR], rendant possible la naissance des CPVS ».

Suivi psy prolongé

Au CPVS de Bruxelles, gratuit et ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, l'ensemble des professionnels travaillent main dans la main. Il y a, d'abord, les neuf infirmières. Ce sont elles qui, en première ligne, accueillent, écoutent et expliquent les possibilités de prise en charge. « Ici, précise Chiara Vanhaverbeke, contrairement aux urgences, nous disposons de temps pour écouter avant de soigner. C'est un luxe indispensable ». Épaulées par deux gynécologues des urgences mobilisables dès que nécessaire, les infirmières procèdent aux soins médicaux (prévention des IST et du VIH, contraception) ainsi qu'aux prélèvements médico-légaux.

Il y a ensuite le pôle psy, soit cinq psychologues à temps partiel, disponibles aussi bien pour une consultation d'urgence que pour un suivi prolongé : les victimes peuvent en effet disposer de leur soutien jusqu'à 20 séances. « Ici, elles trouvent des conditions favorables pour se relever : de la disponibilité, une continuité et la sécurité, le tout à long terme. C'est tout cela qui soigne », souligne Pascal Lapeyre, psychologue.

La police sur place

Et puis il y a, c'est là l'innovation majeure, les policiers. Le volet judiciaire est probablement le plus problématique de l'actuelle prise en charge des victimes de violences sexuelles, ici comme ailleurs. Ainsi, aujourd'hui en Belgique, seule une victime sur dix porte plainte. Parmi les raisons bien identifiées, il y a l'accueil défaillant au sein des commissariats. « Nous entendons des victimes qui n'ont pas été prises au sérieux par des policiers souvent mal formés », témoigne Chiara Vanhaverbeke. Au CPVS, les victimes n'ont plus à s'exposer à l'épreuve du commissariat : c'est le commissariat qui vient à elles. Lorsqu'une victime souhaite déposer plainte, deux inspecteurs spécialisés formés et bienveillants sont appelés (et appelables 24 heures/24). Ils disposent de leur propre bureau dans le même couloir que les soignants. « Nous les considérons comme de véritables collègues », dit la sage-femme.

Autre innovation essentielle dans le protocole : la collecte et la conservation des prélèvements médico-légaux sans dépôt de plainte. Pour les victimes qui hésitent, le CPVS propose ainsi une alternative à la plainte immédiate. Il offre la possibilité d'effectuer les prélèvements médico-légaux et de les conserver 6 mois dans ses locaux (l'ADN est congelé), le temps que la victime décide si elle souhaite ou non porter plainte. Une nouvelle approche qui, sur le plan judiciaire, a d'ores et déjà fait ses preuves. L'évaluation menée au CPVS de Bruxelles un an après son ouverture a ainsi révélé que 68 % des victimes avaient finalement déposé plainte, bien loin, donc, des 10 % habituels.

Depuis sa création en novembre 2017, le CPVS de l'hôpital Saint-Pierre de Bruxelles a reçu 920 victimes (dont 90 % sont des femmes). C'est bien plus qu'attendu et la démonstration, pour les soignants, que le dispositif doit se développer. Pour conserver l'intimité et la qualité des soins, ceux-ci plaident pour l'ouverture d'un second CPVS dans la capitale plutôt que pour l'agrandissement de celui existant. Pour l'heure, cependant, la priorité est à mieux couvrir le territoire national : courant 2020, trois nouvelles villes belges (Anvers, Louvain et Charleroi) devraient se doter d'un CPVS.

Benjamin Leclercq

Source : Le Quotidien du médecin