Après Agnès Buzyn, c'était au tour de Marisol Touraine puis Roselyne Bachelot de s'expliquer longuement mercredi 1er juillet devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la gestion de la crise du coronavirus, à la lumière de leur propre expérience.
Les deux ex-ministres de la Santé se sont montrées à l'aise dans l'exercice, malgré la rafale de questions des députés, pressés de comprendre. Si toutes les deux ont refusé de « donner des leçons » à leurs successeurs, elles n'ont pas manqué de marquer leur territoire sur le principe de précaution et de délivrer quelques piques.
« Un ministre ne va pas compter les ampoules »
Comment la France a-t-elle pu passer d’un milliard de masques chirurgicaux et 728 millions de masques FFP2 en 2010 à... seulement 117 millions de masques chirurgicaux et aucune réserve de FFP2 début 2020 ?
Marisol Touraine affirme que son ministère a géré avec prévoyance cette question sensible des stocks de masques. « Les quantités de stocks remontaient au niveau de la Direction générale de la Santé une fois tous les trois mois, il y avait des commandes de renouvellement qui étaient passées tous les ans », a détaillé l'ancienne ministre socialiste de François Hollande de 2012 à 2017. À son arrivée au ministère il y avait 730 millions de masques chirurgicaux en stock et 754 millions lorsqu'elle est partie. « Si on avait eu ce niveau il y a quelques semaines, la situation aurait été différente, au moins psychologiquement », a recadré Marisol Touraine.
Était-elle informée personnellement ? Quid des FFP2 ? « Dans les réunions, à aucun moment la question des masques ne m'a été remontée », ajoutant qu'une ministre « ne va pas compter les ampoules et les palettes. Elle s’appuie sur des personnes compétentes dans lesquelles elle place sa confiance... » Ce sont ces même personnes de confiance qui lui ont expliqué qu’il n’était pas nécessaire de maintenir des stocks de FFP2, périmés en quelques années, car « réservés à des actes très limités ».
Face aux crises (Ebola, attentats terroristes...), elle estime avoir pris des décisions « claires » assumant la création de l'agence « intégrée » Santé publique France (2017) ou du plan Orsan en 2014 (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles).
« Ce n'est pas au moment où la pandémie se déclare... »
« Être ministre c'est être au courant de tout », a fanfaronné ensuite Roselyne Bachelot, aux manettes de Ségur entre 2007 et 2010. « La politique des masques, c'est le ministre qui en décide et s'inquiète à intervalle régulier de l'état des stocks », a-t-elle expliqué. Alors qu'Agnès Buzyn avait expliqué que le sujet de la surveillance des stocks ne remontait pas spécialement à son niveau, Roselyne Bachelot a affirmé qu'il ne fallait pas plus d'une heure pour être informé précisément du nombre d'unités dont dispose l'État. Elle salue au passage l'EPRUS un « outil tout à fait admirable » en période de crise et regrette sa fusion au sein de Santé publique France.
Roselyne Bachelot a surtout assumé face aux députés son image de tenante de la « prévention maximale », elle qui est devenue une incarnation du principe de précaution. « Dans le cas d'une pandémie de type respiratoire il faut absolument avoir une politique de masques préparée très à l'avance, ce n'est pas au moment ou la pandémie se déclare qu'on peut s'en procurer », a-t-elle professé.
Les professionnels de santé doivent-ils attendre d'être approvisionnés par l'administration ? Certainement pas, tranche la pharmacienne qui défend l'avènement d'une « société résiliente, où chaque citoyen s'empare de sa protection ». Dans une tirade qui provoque déjà la colère de la profession [vidéo ci-dessous], l'ex-ministre s'en est prise directement aux médecins de ville qu'elle juge responsables de n'avoir pas constitué eux-mêmes de stocks suffisants de matériel de protection. « Enfin, des médecins qui n'avaient pas de masques dans leur cabinet, qui n'ont pas de blouse ? On attend que le préfet ou le directeur de l'agence régionale de santé vienne avec une petite charrette porter des masques ? Mais qu'est-ce que c'est que ce pays infantilisé », a-t-elle raillé.
Et de tacler ensuite les entorses à la prévention et à l'hygiène qu'elle affirme constater en médecine de ville comme à l'hôpital. Elle tance ainsi les médecins qui portent la blouse comme « un accessoire de théâtre » et la « désastreuse habitude de la barbe chez les soignants », véritable « nid à microbes ». « Il faut absolument que dans le pays de Pasteur on retrouve les règles de l'asepsie », pose-t-elle.
Roselyne Bachelot a profité de cette audition pour s'expliquer sur sa gestion de l'épidémie de grippe A (H1N1) survenue en 2009. Jugée à l'époque trop dispendieuse, l'ancienne ministre assume tout. « Étant donné le panier de conneries que j'ai entendu sur cette affaire, je suis heureuse de donner quelques explications ». Les 94 millions de doses de vaccins commandées étaient-elles excessives ? Non car elles permettaient alors de couvrir 47 millions de Français. Elle confie même un regret : « N'avoir pas acheté assez de vaccins pour l'ensemble de la population », comme l'avaient fait à l'époque beaucoup de pays voisins...
Le bashing qu'elle a subi a-t-il orienté la politique de ses successeurs ? « Les procès dont j’ai fait l’objet, les moqueries, les mises en cause étaient d’une telle violence et d’une telle injustice que je peux comprendre les craintes suscitées chez certains de mes successeurs, glisse-t-elle aujourd'hui. On s’est dit qu’il y avait plus de risques à en faire trop qu’à en faire pas assez... »
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier
Soumission chimique : l’Ordre des médecins réclame un meilleur remboursement des tests et des analyses de dépistage
Dans les coulisses d'un navire de l'ONG Mercy Ships