La santé est-elle une affaire d'État ? Aux yeux de certains experts, cela doit forcément être le cas mais ce n'est pas tout à fait l'avis du Mouvement des entreprises de France (Medef), qui a consacré une convention à cette thématique (« REF santé »), pour la première fois depuis longtemps. « La santé est une affaire collective pour les citoyens, mais aussi pour les chefs d'entreprise, a recadré Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef. Il nous faut des salariés en bonne santé, c'est un facteur de compétitivité du pays. »
Alors que le patronat s'est peu saisi des questions de santé depuis des lustres, la crise sanitaire a changé la donne et invite à se poser la question des rôles respectifs de l'État, du secteur public et des acteurs privés de santé. « L'équilibre trouvé en France entre le public et le privé doit être amélioré. Les leçons de cette pandémie, ce n'est pas qu'il faut davantage d'État, mais plutôt qu'il convient de ramener chacun dans son rôle », a insisté le patron des patrons, rappelant qu'un comité santé a été créé au sein du Medef.
En matière de souveraineté sanitaire par exemple, si la puissance publique peut fixer la liste des produits stratégiques à relocaliser en France ou en Europe, il ne faut pas pour autant tomber dans « le protectionnisme », mais encourager toutes les initiatives. Le Medef appelle ainsi l'État à « retrouver sa place d'arbitre » sur la santé, à savoir « donner les grandes orientations, un cadre fiscal, juridique, des règles », sans « tout diriger ni tout réguler ».
Réconcilier hôpitaux et cliniques
Cet équilibre est un souhait partagé par les Français, à en croire un sondage réalisé par l'Ifop pour le Medef. Si leurs principales préoccupations restent le recrutement de soignants et l'accès aux soins, 64 % des Français interrogés estiment ainsi qu'un système performant passe par « les synergies entre acteurs publics et privés », plutôt que par un contrôle accru de l'État et un pilotage centralisé.
À titre personnel, 71 % des sondés seraient favorables à davantage d'autonomie dans la gestion de leur parcours de soins. Cela implique une communication « plus fluide » entre les intervenants – généralistes, spécialistes, pharmaciens – (44 %), un meilleur remboursement des diverses méthodes de santé y compris alternatives (42 %), une simplification des démarches (41 %), mais aussi une clarification des coûts associés (Sécu, mutuelles, reste à charge). Autant de positions proches de celles du Medef.
À la tête du comité « acteurs de santé » du Medef, et président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP, cliniques), Lamine Gharbi plaide pour ces rapprochements. « La première mission de la nouvelle ministre sera de nous réconcilier, hôpitaux publics et cliniques, mais, pour cela, il faut des moyens et un changement des mentalités, on ne peut pas le faire en stigmatisant la médecine libérale, comme ça a été le cas pendant des années », juge le patron de la FHP, précisant que « l'urgence » est déjà de « passer l'été ». Il invite à « ne pas retomber dans les guerres de chapelles » et à bâtir un « socle identitaire », basé sur le principe du « même soin, même devoir et même tarification pour un même patient ».
Partir du terrain, des besoins
Complémentarité des acteurs, décloisonnement, stratégie territoriale : cette méthode est réclamée par Jean-Paul Ségade, à la tête du Cercle de recherche et d’analyse sur la protection sociale (Craps), qui s'est penché sur le modèle danois. Il ne croit pas à une « grand-messe » sur la santé mais plutôt à des états généraux « territoriaux ». Au Danemark, la réforme a été populationnelle et s'est faite à partir du terrain, rappelle-t-il. La priorité à ses yeux serait de réviser les frontières des métiers et de casser les silos. « Il faut arrêter d'opposer médecins et le reste des soignants », conclut-il.
Autre invité du débat du Medef, le Pr Philippe Juvin, candidat LR aux législatives et chef du service des urgences de l'hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP), défend lui aussi la liberté d'initiative du terrain. « Les entreprises sont prospères quand vous laissez s'exprimer les individus, résume l'ex-candidat à l'investiture de la droite pour la présidentielle. Il faut faire confiance aux gens ». Lui aussi appelle à faire évoluer les métiers et à donner des perspectives de carrière aux soignants. « Je crois beaucoup aux délégations de tâches, il faut permettre la prescription pour les infirmières », illustre le maire de La Garenne-Colombes, qui souhaite ouvrir largement les terrains de stage au privé et aux Ehpad. « Il est mortifère d'avoir une vision monochrome des choses », souligne-t-il.
Plan pour l'emploi dans la santé
Autant de propositions reprises – pour la plupart – dans les priorités santé du Medef. Outre un « plan pour l’emploi dans le secteur de la santé », répondant aux besoins des territoires, il faut repenser la gouvernance « pour passer d’une approche fondée sur l’offre à une approche fondée sur les besoins », résume Lamine Gharbi. Et de plaider pour un pilotage « plus territorialisé » avec les agences régionales de santé (ARS).
Le patronat ne se contente pas de repenser la gouvernance. Le Medef souhaite réviser les modalités de financement des acteurs pour « garantir la qualité et pertinence des soins », valoriser la prévention et l’innovation. « Il faut aussi organiser une pluriannualité des ressources pour améliorer la visibilité des acteurs », souligne Lamine Gharbi, qui reprend ici une requête des établissements comme des industriels du médicament. La transition des paiements à l’activité vers des financements à l’épisode ou au parcours doit aussi être « favorisée ».
Les employeurs réclament enfin la création d'un fonds stratégique pour la souveraineté sanitaire et l'innovation et souhaitent garantir un « accès précoce » aux médicaments, dispositifs et actes innovants. Une politique fiscale plus incitative doit encourager la recherche en ce sens. Enfin, le Medef appelle à « rapatrier » un certain nombre de molécules ou principes actifs et à défendre auprès de l’UE cette zone de souveraineté sanitaire.
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