« Il est plus que jamais temps de faire de la recherche en santé mentale une des priorités des politiques publiques », martèle le Pr Marion Leboyer, qui dirige la Fondation FondaMental. Car dans le monde, les maladies mentales touchent désormais une personne sur trois au cours de son existence et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) prévoit qu’à l’horizon de 2020, les maladies psychiatriques seront la première cause mondiale de handicap…
Et la France n’échappe pas à ce « fardeau ». Les maladies mentales sont la première cause d’invalidité sur le territoire, la deuxième cause d’arrêt de travail avec, évidemment, des répercussions sur le plan économique. Leur coût direct et indirect est estimé à 107,7 milliards d’euros, « ce qui correspond au tiers du budget de l’État », fait remarquer le Pr Leboyer.
Début octobre, la fondation FondaMental a organisé un colloque pour présenter les données et recommandations issues de l’étude ROAMER* (a roadmap for mental health research in Europe) – un vaste travail démarré en 2011, mené pendant 3 ans par un millier de collaborateurs européens. À cette occasion, le Pr Karine Chevreul, de l’unité de recherche clinique en économie de la santé (URC-Éco) de l’APHP, a détaillé la situation peu envieuse de la France.
De bonnes publications, mais si peu
Le premier constat est encourageant : « La recherche en santé mentale en France est de très bonne qualité. On est toujours dans les quintiles supérieurs d’"impact factors" (facteurs d’impact), même dans les thématiques où l’on publie le moins », commence-t-elle par décrire. Mais les bonnes nouvelles s’arrêtent là. Malgré une nette augmentation du nombre de publications en psychiatrie ces dernières années, elles ne représentaient que 3,7 % des publications dans le domaine de la santé en 2011. La France est à la traîne par rapport à ses voisins européens – un fait qui ne peut pas être attribué à sa taille, vu que les Pays-Bas caracolent en tête de liste du nombre publications en psychiatrie au niveau Européen. La France arrive donc en 17e position sur 33 dans le domaine où elle excelle – la recherche biomédicale. « Pour les autres champs de recherche, on est soit dans le peloton de queue soit carrément à la fin », remarque le Pr Chevreul. En raison d’un financement provenant essentiellement des laboratoires pharmaceutiques, « une grande partie de la recherche est en effet consacrée au biomédical » explique-t-elle. Les études sur l’accompagnement psychosocial des malades, sur la santé publique, sur le bien-être des patients… sont pour leur part quasiment inexistantes.
Pénurie de ressources humaines et techniques
Quelque 131 équipes effectuent de la recherche en santé mentale sur tout le territoire, « soit quatre fois moins que pour le cancer », fait-elle remarquer. Contrairement aux autres pays, aucun master n’existe dans le domaine de la santé mentale en France, et les modules de santé mentale sont rares dans les disciplines comme la santé publique, l’épidémiologie ou les biostatistiques. Les professeurs des universités sont débordés, « pour 1 PU-PH en psychiatrie, on dénombre 15 internes, contre 4 pour 1 PU-PH en neurologie – ce qui influence énormément la possibilité de former à la recherche les professionnels de santé, et ce qui n’attire pas les jeunes », explique le Pr Chevreul.
Contactée par « le Quotidien », le Pr Marie-Odile Krebs, directrice d’une équipe de recherche INSERM sur la physiopathologie des maladies psychiatriques à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, confirme ce propos : « Nous ne sommes qu’une poignée d’universitaires, du coup la formation des généralistes est insuffisante, et c’est aussi un biais pour attirer les meilleurs de l’internat vers ces carrières, même ceux qui étaient motivés au départ – Ils choisissent des spécialités où ils auront plus de chance d’avoir un exercice hospitalo-universitaire. De même les chercheurs en neurosciences se tournent vers la neurologie, et pas vers la psychiatrie. Et c’est quelque chose qui n’est pas facile à rattraper. »
Le Pr Krebs déplore également le manque de communication entre secteurs de psychiatrie – qui prennent en charge les premiers épisodes psychotiques, les malades sévères, les pathologies résistantes etc. – et les universités. « Il faut absolument réfléchir à une meilleure articulation entre les centres universitaires, les centres de recherche et les centres de psychiatrie de première ligne, et à comment intégrer les problématiques des secteurs dans les sujets de recherche », suggère-t-elle.
Le nerf de la guerre
Enfin, alors que la santé mentale constituait une des 5 priorités de santé publique de la stratégie de santé annoncée en 2013 par la ministre de la Santé, la recherche dans le domaine manque toujours cruellement de financements publics. Seulement 2 à 4 % du budget de la recherche sont consacrés à la recherche en santé mentale, contre 6 % en Espagne, 7 % en Grande Bretagne, 10 % en Finlande et 16 % aux États-Unis (2011). « Ce budget est deux fois moins important que celui attribué à la recherche en neurologie alors que les affections psychiatriques sont 2,7 fois plus fréquentes, et que leur coût économique est plus de 2 fois supérieur », note le Pr Chevreul.
Pour relancer la machine, Pr Leboyer insite sur la mise en œuvre d’une politique similaire à ce qui a été mis en place pour des pathologies comme le cancer, la maladie d’Alzheimer ou pour les maladies rares : « Il y a eu plusieurs plans ministériels, pour l’autisme ou la santé mentale, mais sans moyens dédiés à la recherche, note-elle. Il ne s’agit pas de faire un chèque en blanc, mais de faire des appels à projets dédiés. Les réseaux qui existent doivent être pérennisés, évalués, il faut des bourses pour attirer les jeunes, et financer des biobanques pour que des échantillons biologiques puissent être testés dans différents programmes de recherche... Tout ceci nécessite volontarisme et courage politique. »
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