Le chef du gouvernement est certes confronté aux obstacles dressés par sa propre majorité, mais jusqu’au congrès du PS, il se disait sans doute que tout allait bien pour lui, qu’il s’est affirmé comme un Premier ministre qui gouverne, qui fait des réformes dans un terrain miné par les scléroses et par un syndicalisme ultra-conservateur, qui est intraitable en matière d’éthique, notamment chez ses collaborateurs, qui est populaire, y compris dans l’électorat de droite et qui se prépare sagement pour 2022 en soutenant François Hollande pour 2017 avec toute la loyauté que le chef de l’État peut attendre de lui.
Sur le jugement qu’il mérite, on est très partagé. Il n’aurait pas dû faire ce voyage, principalement parce qu’il a toujours pourfendu ceux des hommes et femmes politiques qui ont avec l’argent une relation un peu facile. En même temps, qui peut ignorer qu’un Premier ministre ne peut voyager que dans un avion affrêté par l’État pour des raisons de sécurité ? Ce qui n’empêche pas qu’il aurait dû rester à Poitiers jusqu’au bout et ne pas prévoir deux escapades à Berlin et à Roland-Garros qu’il a faites pour son seul bon plaisir. C’est quand même un péché véniel. Car même un homme d’État a le droit de se détendre de temps en temps (et de se retrouver en famille). Si la polémique a enflé, c’est un peu à cause des socialistes eux-mêmes, de M. Valls lui-même, dans la mesure où ils n’ont cessé de faire de la transparence financière de tous les élus une sorte de critère dominant qui passe avant même la qualité du programme. À force de jouer aux censeurs, ils finissent pas être censurés eux-mêmes : les règles qu’ils imposent à tout la classe politique sont valables pour eux aussi. Comme ils sont les acteurs de la morale politique, ils doivent être encore plus prudents que tous les autres, comme le débat sur le voyage de M. Valls l’a démontré.
Le temps assurera l’oubli.
S’il est certain que le chef du gouvernement s’est tiré une balle dans le pied, cela signifie-t-il qu’il a durablement compromis son avenir politique ? On note que Nicolas Sarkozy n’a pas échappé pendant une seule seconde de son mandat après la soirée du Fouquet’s à la réputation bling-bling qui lui a été faite. Mais l’autoritarisme des deux hommes ne s’exprime pas de la même manière. Chez M. Valls, il s’affirme face à ses opposants de droite et de gauche et dans la mise en œuvre des réformes beaucoup plus que comme un simple trait de caractère. Il se dit que François Hollande a été vivement agacé par l’épisode de Berlin, même si, publiquement, il a soutenu son Premier ministre. L’exécutif en effet n’avait pas besoin d’entacher sa marque de fabrique : on pouvait l’accuser de tout, y compris de ne pas obtenir de résultats dans le domaine du chômage, on ne pouvait pas nier qu’il était éthiquement exemplaire.
Il reste que l’opinion a entendu tous les sons de cloche au sujet de cette affaire, y compris celui d’Henri Guaino, qui n’a jamais été tendre avec la majorité et qui s’offusque aujourd’hui que l’on fasse ce procès public au Premier ministre : lui aussi croit qu’un homme d’État n’est pas obligé d’exercer son mandat dans un ascétisme à la Gandhi. Que les avis du public sont variés, mais pas définitifs ; que, même s’il y a toujours de belles âmes pour rappeler à tout instant les fautes passées d’un homme politique dans l’espoir de l’affaiblir, le temps fera son œuvre d’autant plus vite qu’aucun crime n’a été commis. Les acquis de M. Valls, au terme d’une année passée à la tête du gouvernement pèseront plus lourd que sa gaffe de l’autre jour, qui n’est pas une lettre écarlate gravée sur son épaule. Il est indispensable à François Hollande parce qu’il a réussi à rassembler le PS autour de sa candidature en 2017 ; son programme est respecté, quelquefois à droite ; il donne de son pays une image de fermeté et de détermination que le président n’a pas acquise. Quand il le voudra, il sera un puissant candidat.
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