LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Comment définiriez-vous la responsabilité des médias médicaux face aux menaces épidémiques ?
Dr GÉRARD KOUCHNER - Nous, médias professionnels, nous exerçons une responsabilité spécifique, car c’est souvent en nous consultant que la plupart des journalistes de la presse grand public vérifient leurs informations. Or, le niveau de technicité qui nous caractérise peut faire problème quand ce sont des professionnels non formés qui nous lisent. Des erreurs d’interprétation sont d’autant plus à craindre que l’imaginaire qui entoure les maladies infectieuses reste extraordinairement riche et anxiogène.
Depuis Pasteur, nous vivons pourtant dans une culture de la victoire remportée sur l’épidémie…
Certes, mais c’est ambivalent. Les angoisses peuvent surgir à nouveau dès que sont évoqués des risques majeurs tels les fièvres hémorragiques, la peste ou le sida. Sans aller jusqu’à déclencher des paniques, les médias ont vite fait d’entretenir des conduites fortement anxiogènes.
Il leur faut tenir le cap : rester aussi factuels que possible et, en même temps, rendre compte des préoccupations des chercheurs et des modèles qu’ils élaborent pour évaluer les risques à venir.
Les scientifiques n’ont-ils pas aussi leurs scénarios catastrophe ?
La question s’est posée à propos de l’évaluation d’une éventuelle pandémie grippale. Si les chercheurs nous disent qu’avec H5N1, la France pourrait compter jusqu’à 10 millions de grippés et 6 millions de morts, c’est aux médias qu’il appartient de traduire ces prévisions en termes mesurés, pour apprécier le pourcentage de risque.
D’aucuns dénoncent aujourd’hui un phénomène d’emballement scientifico-médiatique. Mais ce n’est pas parce que l’épidémie n’est pas survenue à ce jour que le niveau de risque ne continue pas d’être élevé. Informées par les épidémiologistes et les bactériologistes, les autorités de santé ont estimé de leur devoir, à mon sens à juste titre, d’agir auprès des professionnels ainsi que du public. Les premiers ont été alertés et des formations leur ont été dispensées pour que leur pratique, en cas de survenue épidémique, soit aussi efficace que possible ; le public a, quant à lui, fait l’objet de campagnes de sensibilisation et d’information. Qui pourrait reprocher aujourd’hui à nos gouvernants d’avoir surréagi ? Que n’aurait-on dit, en cas d’épidémie, si aucun programme de lutte n’avait été lancé ?
Quelle doit être dans ce cas la fonction des médias ? Doivent-ils se contenter de relayer la parole officielle ? Ou faut-il qu’ils exercent un rôle de critique ?
Nous avons donné la parole aux experts, les mêmes qui avaient assuré l’information des pouvoirs publics. C’était notre travail. Les autorités de santé avaient adopté des mesures de précaution en application aux avis des experts, cela nous obligeait à donner écho aux annonces de ces scientifiques. Et comment n’aurions-nous pas accordé un minimum d’importance à ces annonces alors même qu’étaient lancés d’importants programmes de formation à l’attention de nos lecteurs ? Cela dit, la confiance mise par le public dans les experts est aujourd’hui ébranlée. Les contaminations sanguines, les épidémies de sida et de chikungunya ne sont pas pour rien dans cette perte de crédit. Pour notre part, nous nous sommes appliqués à relayer ces experts avec autant de circonspection que possible.
Hormis la dramatisation, quels écueils doivent encore éviter les médias en matière d’information sur les épidémies ?
Nous devons nous garder d’une autre surenchère, opposée au catastrophisme, celle du wishful writing, comme l’appellent les Américains : inconsciemment, les journalistes cèdent à la tentation de fournir à leurs lecteurs les nouvelles qu’ils ont envie de lire. L’affaire Judas Folkman, du nom de ce chercheur du Children’s Hospital de Boston, père de l’angiogenèse, est à méditer : en mai 1998, le « New York Times » avait fait sa « une » sur ses travaux concernant l’endostatine, annonçant que cette molécule guérissait le cancer en deux ans. La frénésie s’empara de toute la planète média en 24 heures. Les journalistes, emportés par leur élan, avaient simplement oublié de préciser que les travaux de Folkman concernaient la souris et non l’homme.
Cela dit, la médiatisation des risques épidémiques ne peut-elle pas quand même avoir des effets bénéfiques ? Avec le sida, on a vu qu’elle permettait de mobiliser et l’opinion, et les politiques et les scientifiques.
Aussi vrai que de crier intempestivement au loup a des effets catastrophiques, à l’inverse, la médiatisation des alertes lancées par les associations sur le sida a pu jouer, indéniablement, un rôle très bénéfique. Au début, le corps médical était plutôt réticent pour imaginer l’ampleur de l’épidémie. Le travail des médias, en relayant les lanceurs d’alertes, a donc été bénéfique. De même, lors de la canicule de l’été 2003, un médecin comme Patrick Pelloux a su jouer des médias pour sonner le tocsin. Cela nous rappelle combien les médias, y compris professionnels doivent être à l’écoute de tous les signaux, pas seulement scientifiques, pour assurer leur rôle de vigie face aux épidémies.
* À l’occasion de l’exposition Epidémik à la Cité des sciences. Sont également intervenus : Patrick Zylberman, Didier Houssin, Françoise Weber, Didier Tabuteau et Christian Lajoux (« le Quotidien » des 28 novembre, 1 er, 8, 10 et 11 décembre.
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