« Il n'existe pas d'argument médical pour ne pas traiter tout le monde », explique le Pr Victor de Lédinghen, du CHU de Bordeaux et secrétaire général de l'AFEF, la société française pour l'étude du foie, au sujet de la mesure phare des nouvelles recommandations de la société savante pour la prise en charge de l'hépatite C publiées le 17 février 2016.
Avec l'arrivée des nouveaux antiviraux en 2014, extraordinairement efficaces et bien tolérés, « c'est la première fois dans l'histoire de la médecine qu'une maladie chronique peut disparaître grâce à un traitement médical », poursuit-il. Après avoir demandé d'élargir dès juin 2015 les recommandations émises en 2014 par la Haute Autorité de santé (HAS), l'AFEF veut aujourd'hui franchir le pas du traitement pour l'ensemble des sujets infectés.
Compte tenu du prix élevé de ces nouvelles molécules, à l'époque de l'ordre de 56 000 euros pour 12 semaines de traitement par le sofosbuvir, la HAS avait élaboré en 2014 une stratégie de prise en charge de l'infection de l'hépatite C, qui est toujours en vigueur actuellement. La Haute Autorité réserve ainsi le remboursement aux patients les plus graves, c'est-à-dire : les patients ayant un score de fibrose ≥ F2 ou ayant des manifestations extra-hépatiques, en attente de transplantation d'organe, les femmes ayant un désir de grossesse, les usagers de drogues et les personnes détenues.
Des recommandations éthiquement indéfendables
« Ce n'est pas éthiquement possible de refuser à quelqu'un le traitement qui lui permettrait de guérir », ajoute le Pr de Lédinghen. L'efficacité de ces nouveaux antiviraux directs, qui agissent en trois sites différents sur les enzymes de réplication du VHC, - les inhibiteurs de protéase (simeprevir, paritaprevir), les inhibiteurs du complexe de réplication NS5A (daclastavir, ledispavir, ombitasvir) et des inhibiteurs de la polymérase NS5B (sofosbuvir, dasabuvir) -, est en effet « imparable », selon le Pr Patrick Marcellin, de l'hôpital Beaujon (AP-HP) et coordinateur du groupe de travail sur le traitement de l'infection par le VHC dans le rapport du Pr Daniel Dhumeaux (2014).
« Les antiviraux permettent de guérir quasiment 100 % des sujets infectés, poursuit le Pr Marcellin. Il n'existe pas de résistance qui ne puisse être rattrapée par une autre molécule. Les effets secondaires sont très faibles. Dès 15 jours de traitement, les patients se sentent mieux, moins déprimés, moins fatigués, moins courbaturés. C'est beaucoup moins de souffrance pour le malade et pour l'ensemble du foyer. Il n'y a aucune logique médicale à attendre que la maladie s'aggrave. À retarder le traitement, on prend le risque supplémentaire que le virus se transmette. »
Le traitement universel n'est pas la seule mesure innovante de ces dernières recommandations. « Il y a deux autres points majeurs, décrit le Pr de Lédinghen. Il est envisageable dans certains cas de donner un traitement sur 8 semaines. C'est une vraie nouveauté. Les chances de guérir sont les mêmes qu'avec 12 semaines. De plus, les hépatites aiguës doivent être traitées et il y a toutes les chances de guérir avec un traitement très court de 4 semaines ».
La balle dans le camp des politiques
Pour les hépatologues qui définissent leurs recommandations de « scientifiques, médicales et citoyennes », la balle est maintenant dans le camp des politiques. « C'est aux décideurs de prendre leurs responsabilités », estime le Pr Victor de Lédinghen. Une décision pas si facile à prendre quand le coût d'un traitement de 3 mois oscille actuellement entre 41 000 et 46 000 euros. « En France, 12 000 patients ont été traités en 2014 et 14 000 en 2015, précise le Pr de Lédinghen. Il reste à traiter 30 à 40 000 patients infectés. On estime à environ 75 000 les sujets non dépistés. »
Bien conscients du frein que peut représenter de telles sommes à engager, les spécialistes tiennent à rassurer les autorités sur d'éventuels débordements. « Le nombre de patients traités depuis 2 ans s'est révélé inférieur au budget attribué par la Sécurité Sociale, qui était de 15 000 patients/an », précise le Pr de Lédinghen. Les prescriptions devraient s'étaler dans le temps, sans que leur nombre n'explose de manière incontrôlée.
Des prix à renégocier d'urgence
La mise en place d'un traitement universel pourrait difficilement avoir lieu sans une renégociation des prix entre industriels et instances gouvernementales, des discussions que d'aucuns imaginent âpres. Le message de l'AFEF est clair. « Les sociétés savantes comme l'AFEF n'interviennent pas dans la régulation des prix et ce sont aux industriels des laboratoires pharmaceutiques de diminuer le coût des traitements pour permettre de traiter tous les patients », indique son secrétaire général.
Cependant, le Pr Marcellin tempère, « ce n'est ni l'intérêt des laboratoires pharmaceutiques ni de la société, que le prix soit un obstacle au traitement ». Les spécialistes font remarquer de plus que les coûts vont baisser du fait de la tendance à la simplification et au raccourcissement des traitements. Il est d'ores et déjà prévu que le prix du sofosbuvir soit rediscuté et l'arrivée d'une nouvelle association bien meilleure marché, devrait faire jouer la concurrence.
Viser l'éradication
Pour les hépatologues, l'intérêt d'un traitement universel est individuel mais aussi collectif. « La question aujourd'hui n'est pas seulement de savoir avec quelle association traiter tel patient en fonction de l'avancée de sa maladie hépatique, du génotype VHC ou des traitements antérieurs, mais de savoir comment éradiquer l'hépatite C, estime le Pr de Lédinghen. (...) L'accès à un traitement universel est un objectif à court terme dans le but d'une disparition de l'épidémie d'hépatite C avant 2020 ». Le Pr Marcellin, plus modéré, espère que d'ici 5 ans la moitié des patients seront traités que l'éradication sera obtenue à 10 ans.
« Ce serait magnifique que la France soit pionnière dans l'éradication du VHC, s'enthousiasme le Pr Marcellin. L'Allemagne nous a devancé pour le traitement universel, mais est en retard dans le dépistage. La France pourrait être la première à éradiquer le virus. Il y a de grands bénéfices à moyen et long terme à pendre en compte dans le calcul économique coût/efficacité, moins de cancers du foie, moins de transplantation, moins d'absentéisme. Ce serait un bel exemple pour la Santé publique, alors qu'il existe 170 millions de sujets infectés à travers le monde, l'Inde et l'Égypte en comptant à elles-seules plusieurs millions ».
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