L'Université de Strasbourg fait la lumière sur les crimes médicaux commis pendant l'annexion par la « Reichsuniversität » nazie

Par
Publié le 05/05/2022

Crédit photo : DR

Strasbourg, novembre 1941 : une « Reichsuniversität » nazie s'installe dans les locaux de l'Université alsacienne qui se replie elle-même à Clermont-Ferrand jusqu'à la Libération. Depuis, en dépit de nombreux témoignages, procès et études lancés dès 1945, les aspects les plus sombres de son fonctionnement, notamment en médecine, n’avaient jamais été totalement éclaircis. C'est enfin réparé. En effet, après six années de travaux, la Commission pour l'histoire de la faculté de médecine de la Reichsuniversität a dévoilé mardi un rapport de 500 pages qui vient rendre compte de la « vie des cliniques au quotidien, des expérimentations humaines criminelles et des collections médico-scientifiques ». L'équipe de chercheurs internationaux et indépendants, qui avait été mandatée par l'ancien président de l'Université de Strasbourg, a également consacré des biographies aux victimes et aux personnels de la faculté de médecine et émis des préconisations concernant les politiques mémorielles.

Sans lien avec l'Université strasbourgeoise d'avant-guerre, la « Reichsuniversität » était composée d’enseignants et d’administrateurs allemands, appelés à former les étudiants de la région. Installée dans les murs des actuels Hôpitaux universitaires de Strasbourg, sa faculté de médecine comptait alors 24 professeurs : tous n’étaient pas forcément des nazis convaincus, mais trois d’entre eux, l’anatomiste August Hirt, le virologue Eugen Haagen et l’interniste Otto Bickenbach n’hésitèrent pas – comme nombre de leurs confrères d’autres universités allemandes - à pratiquer des expérimentations sur des prisonniers de guerre ou des déportés.

Longue période d'oubli

En dépit de procès menés par les autorités françaises, qui aboutirent à la condamnation à mort par contumace de Hirt, qui s’était suicidé en 1945, et à de lourdes peines de prison pour Haagen et Bickenbach, un certain flou suivi d’une longue période d’oubli, subsista autour de cette période. Il fallut attendre les années 1990 pour qu’une nouvelle génération de médecins, en particulier le psychiatre Georges Federmann, réclame plus de clarté. Les crimes commis par Hirt, qui fit notamment assassiner 86 déportés juifs pour doter l’institut d’anatomie d’une collection de crânes, devinrent pour ces médecins le symbole des dérives d’une médecine gouvernée par les seules idéologies. Selon eux, il fallait enseigner ces réalités à l’Université.

Or celle-ci se montra longtemps réservée face à ces demandes, en rappelant qu’elle n’avait aucun lien ni responsabilité vis-à-vis de l’université nazie. En outre, des polémiques sur l’existence réelle ou supposée de pièces anatomiques prélevées sur des déportés par les médecins nazis et conservées après 1945 éclatèrent à plusieurs reprises, en dépit du travail d’inventaire mené par les instituts concernés. Pour clore définitivement ces polémiques, l’Université de Strasbourg chargea en 2016 une commission internationale de réaliser un historique précis de la faculté nazie, y compris une évaluation de l’origine de toutes les pièces conservées à Strasbourg, dont des lames histologiques réalisées par Hirt, et découvertes en 2015 à l’institut de médecine légale.

La commission a prouvé qu’elles n’avaient pas été prélevées sur des déportés, mais sur des prisonniers de droit commun exécutés en Allemagne en 1936. De même, des doutes ont pu être levés en ce qui concerne l’origine d’autres lames et collections micro-et macroscopiques, réalisées dans un cadre diagnostique ou scientifique mais sans dimension criminelle. À l’inverse, il a été possible d’identifier précisément plusieurs déportés victimes d’expériences sur le phosgène menées au camp du Struthof par Bickenbach, ainsi que d’autres déportés sur lesquels Haagen expérimenta un vaccin sur le typhus hors de tout cadre éthique. Les 86 déportés tués par Hirt avaient, eux, déjà été identifiés par un chercheur allemand en 2003.

Lieux de mémoire

Mais la commission est allée plus loin, en s’intéressant au fonctionnement, au personnel, aux médecins et aux étudiants de la Reichsuniversität, ainsi qu’à leur devenir après la guerre. En outre, elle a préconisé la mise en place de lieux de mémoire et de réflexion ainsi que d’un chemin du souvenir, une requête acceptée par l’Université. Dans une optique de transparence, les conclusions de la Commission et de nombreux documents biographiques et historiques sont dès à présent disponibles en ligne. Comme le rappelle en effet le président de l’Université de Strasbourg, le Pr Michel Deneken, « la médecine reste fragile face à l’éthique, et il est indispensable de le rappeler à tous nos jeunes ».


Source : lequotidiendumedecin.fr