Des gènes qui nous rendent aujourd'hui plus susceptibles à certaines pathologies auto-immunes auraient-ils pu être jadis protecteurs ? C'est ce que met en évidence une étude publiée ce 19 octobre dans « Nature » par des scientifiques de l'Institut Pasteur, de l’Université McMaster et de l’Université de Chicago.
Les chercheurs ont travaillé sur la peste bubonique qui a sévi en Europe, Asie et Afrique il y a près de 700 ans, au Moyen-Âge. Cette « peste noire », dont l'agent pathogène est la bactérie Yersinia pestis, est l'évènement le plus meurtrier de toute l'histoire, tuant 30 à 50 % de la population. « Quand une pandémie de cette ampleur a lieu, il y a nécessairement chez l'Homme une sélection en faveur des allèles protecteurs, ce qui implique que les personnes susceptibles au pathogène circulant vont décéder. Le moindre avantage sélectif fera la différence entre survie ou décès. Bien entendu, les survivants en âge de procréer transmettront leurs gènes », explique le biologiste spécialiste de génétique évolutive Hendrik Poinar, co-dernier auteur de l’étude, directeur de l’Ancient DNA Centre de l’Université McMaster.
Les auteurs se sont penchés sur 206 échantillons d'ADN anciens exploitables, extraits de restes d'individus décédés avant, durant ou après la peste noire, mais aussi au Danemark. En comparant l’ADN de victimes et de survivants de la pandémie de peste noire datant de plusieurs siècles, les scientifiques ont identifié des différences génétiques clés expliquant la survie ou le décès des malades et l’évolution de notre système immunitaire depuis.
40 à 50 % de chance de survie
Ils ont en particulier identifié quatre gènes soumis à une sélection, tous impliqués dans la production de protéines de défense contre des pathogènes. Les chercheurs ont découvert que certains allèles (des versions du gène) conféraient une protection contre la maladie : les individus porteurs de deux copies identiques d’un gène particulier, nommé ERAP2, avaient un taux de survie 40 à 50 % supérieur par rapport à ceux dotés d’allèles différents.
À partir de cellules humaines, les scientifiques ont étudié l’interaction entre la bactérie Y. pestis et les cellules immunitaires en fonction de leurs allèles ERAP2. Ils ont analysé comment les macrophages neutralisaient la bactérie Y. pestis. « Les résultats étaient catégoriques. Les « bonnes » copies du gène ERAP2 permettaient une neutralisation plus efficace de Y. pestis par les cellules immunitaires. Avoir la bonne version d'ERAP2 semble avoir été déterminant pour que les cellules immunitaires soient capables de détruire les bactéries Yersinia pestis », commente Christian Demeure, chercheur au sein de l'unité Yersinia à l'Institut Pasteur.
Un avantage devenu un handicap
« L’avantage sélectif associé aux loci sélectionnés est l’un des plus puissants jamais rapporté chez l’Homme, ce qui témoigne de l’importance de l’impact que peut avoir un seul pathogène sur l’évolution du système immunitaire », déclare le généticien Luis Barreiro, co-auteur senior de l’étude et professeur de médecine génétique à l’Université de Chicago.
Cette variabilité génétique existe encore dans nos génomes actuellement. Selon les scientifiques, ces gènes qui conféraient autrefois une protection contre la peste noire sont aujourd’hui associés à une susceptibilité accrue aux maladies auto-immunes, comme la maladie de Crohn et la polyarthrite rhumatoïde. « L’identification d’ERAP2 renforce l’idée que ce qui permet de survivre à une époque peut altérer la survie à une autre époque », conclut Javier Pizarro-Cerda, co-auteur de l'étude, directeur de l'unité de recherche Yersinia de Pasteur.
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