C’EST COMME un cortège constitué de plusieurs centaines de milliers de pièces anatomiques. Il y a le musée d’Étampes et ses 472 squelettes gallo-romains, le musée de l’Homme (en cours de réaménagement) et ses 30 000 éléments humains (dont 60 fossiles), le conservatoire d’anatomie de Montpellier, riche de 5 000 à 6 000 pièces toutes classées monuments historiques, les 13 000 individus stockés dans les caves de l’université de Genève (dont on ne connaît plus très bien le statut), les collections d’obstétriques du musée Varnier, toujours dans les sous-sols de Port-Royal, etc. De 300 à 400 musées auraient en France des éléments de corps humains. Quant aux établissements hospitaliers, la plupart possèdent des collections anatomiques. Nombre d’institutions ont d’ailleurs préféré décliner l’invitation de l’Institut national du patrimoine. Histoire de ne pas se faire remarquer.
Après l’affaire de l’exposition Our Body, finalement interdite (voir notamment « le Quotidien » des 16 février 2009 et 21 septembre 2010), et la restitution par la France à la Nouvelle-Zélande de 16 têtes Maori (sur les 20 détenues par différents musées et qui ne sont plus exposées), qu’il a fallu sortir de l’inaliénabilité des collections publiques par une loi, tous les conservateurs des collections de restes humains se sentent plus ou moins exposés. Ces « objets » sont d’une grande diversité, comme le révèle le recensement des dépouilles et restes humains organiques dans les collections publiques françaises effectué en 2005-2006 par Laure Cadot, restauratrice, et Noëlle Timbart, conservateur du patrimoine. Sépultures et momies archéologiques, squelettes, fluides (bocaux), préparations sèches médicales, collections mixtes des ethnologues et des anthropologues, curiosités et reliques, tous ont besoin de soins et les problèmes de conservation sont importants.
Raphaël Mandresi, historien des sciences, le rappelle, le corps est tout sauf un objet naturel. Chaque époque invente son regard sur le corps. La grande époque de l’anatomie est révolue mais la dissection, même si elle se raréfie, apparaît encore comme un rite de passage au cours des études médicales. Auteur du « Corps à vif », l’anthropologue David Lebreton souligne que « le corps est la matière de la personne, un objet anthropologique non identifié ». Les cadavres ne sont pas égaux, dit-il encore, les anatomistes ne dissèquent pas leurs proches. Le statut du cadavre, et particulièrement celui de la personne aimée, sollicite en nous l’image du sacré. « L’exposition de cadavres, confie-t-il, m’a toujours posé des questions, en tant qu’anthropologue, je me dis toujours : ces gens auraient-ils aimé se voir exposés ? Il n’y a qu’à voir comme certains se sont battus et se battent encore pour enterrer leur mort. » Après leur restitution, les têtes Maori ont été inhumées.
Ni une chose, ni une personne.
Pour le juriste, explique Florence Belivier, le cadavre n’est ni une chose, ni une personne, c’est une tierce catégorie. Si c’était une personne, on ne pourrait l’exposer et si c’était une chose, la profanation de sépulture ne serait pas sanctionnée. Cependant, remarque Cédric Crémière, directeur du Muséum du Havre, qui a travaillé sur le musée Varnier, les restes humains deviennent objets lors de leur muséification.
Les musées et les chercheurs ont édicté au fil du temps des règles assez précises relatées par Vincent Negri (CNRS). Le premier code de déontologie de l’ICOM, l’organisation internationale des musées et professionnels des musées, remonte à 1986. L’accord Vermillon (Vermillon Accord on Human Remains) adopté en 1989 par le Wac (World Archeological Congress) stipule que les recherches sur ces objets doivent s’effectuer selon les normes professionnelles dans le respect des intérêts et des croyances de la communauté du groupe ethnique ou religieux d’origine. En France, le code du patrimoine et les lois de bioéthique se sont unis en 2007 pour empêcher toute nouvelle collection sans consentement et sans programme de recherche. En 2008, les archéologues se sont dotés d’un code d’éthique pour les restes humains archéologiques. « Depuis 25 ans, les éléments du corps humain dans les collections sont traités de façon différente, constate Michel Van Praet, professeur en muséologie au Muséum national d’histoire naturelle, les diasporas posent de nouvelles questions. Cela peut devenir gênant de conserver certains objets à certains endroits. Quand il y a une demande de restitution, on doit l’examiner avec un esprit ouvert. La question majeure à se poser, c’est celle de l’intérêt d’exposer le corps humain. » Car en vertu du code civil, les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect dignité et décence.
Un intérêt scientifique à préserver.
Responsable scientifique des collections d’anthropologie biologique du musée de l’Homme, Alain Froment souligne pour sa part que la fréquentation des réserves par les scientifiques du monde entier est en constante augmentation et que les travaux les plus marquants de ces dernières années sur la parenté entre les hommes de Néandertal et les hommes modernes ont impliqué les collections du musée de l’Homme. Il conseille donc aux responsables de maintenir autant que faire se peut l’intégrité du patrimoine (constitué au prix d’efforts considérables) qu’ils ont reçu pour le transmettre aux générations futures. Conservés avec respect, les squelettes sont mieux traités dans les musées que dans les cimetières et une collection doit représenter l’ensemble de la diversité humaine. Leur conservation garantit l’utilisation future d’une nouvelle technique non encore inventée. Il milite pour une gestion « laïque » des collections, tous les restes devant être traités de façon égalitaire.
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