QUESTION de grand oral à l’ENA : la dégradation des notes financières de la Grèce du Portugal et de l’Espagne, et le risque de propagation de la crise à d’autres pays fragiles de la zone euro (Irlande, Italie…) dont la situation budgétaire est calamiteuse peut-elle avoir des répercussions sur… le pilotage de l’assurance-maladie française et donc le secteur de la santé ?
L’hypothèse n’est pas saugrenue. Depuis cette semaine, l’affolement des marchés, les spéculations qui vont bon train sur les prochains États de l’Union européenne susceptibles de rejoindre la liste « noire » des pays menacés de défaut de paiement et qui n’arrivent plus à emprunter sauf à des taux prohibitifs apportent des arguments de poids à tous ceux qui, en France, érigent en priorité absolue la lutte acharnée contre les déficits et la dette publique, qu’il s’agisse de l’État, des collectivités locales ou de la Sécurité sociale.
D’autant que pour les experts, une hausse des taux d’intérêt dans la zone euro ne pourrait qu’affecter encore davantage les finances publiques des États sous le double effet de l’accroissement de la charge de la dette (en raison de la hausse du coût du financement et de refinancement) et d’une baisse des recettes fiscales et sociales (reprise de croissance freinée, moindre activité). Dans ce contexte de suspicion générale, où chaque pays voit ses finances publiques examinées à la loupe, la France, aujourd’hui notée au maximum (mais parfois citée comme un pays exposé au regard de ses déficits cumulés), a tout intérêt à ne montrer aucun signe de faiblesse ou de laxisme budgétaire. Pas question d’entrer dans l’il du cyclone et de devenir à son tour un pays « à risque ».
Pour le député UMP du Bas-Rhin Yves Bur, rapporteur des budgets de la Sécurité Sociale pour les équilibres financiers, « il est évident que la crise grecque aura des répercussions y compris en France : la commission européenne va accentuer ses contrôles et ne se contentera pas de déclarations d’intention des États qui devront absolument maîtriser leur dette souveraine pour ne pas être étranglés ». Faut-il s’attendre à un tour de vis spécifique sur les dépenses de santé ? Yves Bur ne l’écarte pas : « Pour rester crédibles, il sera encore plus impératif de dépenser mieux et utile mais aussi d’engager rapidement des réformes structurelles car, chez nous aussi, la situation est devenue critique et la dette insoutenable. »
L’année commence mal.
Le gouvernement partage ce discours de fermeté, que la crise actuelle ne peut que renforcer. C’est le sens du programme de stabilité de la France 2010-2013, véritable plan stratégique présenté en début d’année 2009 à l’Europe pour « renforcer considérablement l’assainissement des finances publiques » (il faut trouver 50 milliards d’euros d’économies pour ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013). Reste à traduire cet engagement en actes. Avec 30 milliards d’euros de déficit supplémentaire attendu chaque année au cours des quatre prochains exercices, la Sécurité sociale fait tache. La réforme des retraites est érigée en priorité de l’année 2011 mais l’assurance-maladie n’échappera pas à des efforts supplémentaires à court terme. Le débat sur la réforme du régime ALD pourrait resurgir.
Côté dépenses, dans le cadre de la première session de la conférence sur le déficit, en janvier, il a été décidé de « durcir » dans les prochaines années l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), avec des taux directeurs fixés en-deçà du seuil de 3 %. Éric Wrth, à l’époque ministre du Budget, estimait même possible d’atteindre durablement un objectif de… 2 % par an qui n’autorise aucune marge de manuvre.
En 2009, année plutôt vertueuse sur le plan des dépenses maladie, l’ONDAM avait quand même progressé de 3,7 % soit une dérive de 850 millions d’euros par rapport aux objectifs ; mais surtout, le rythme tendanciel de croissance des dépenses maladie au premier trimestre 2010 est de plus de 4 % contre 3 % votés… L’année débute donc mal, en tout cas hors des clous, même si certains postes sont remarquablement sages (les remboursements de médecine générale sont même en recul).
Soucieux de donner des gages, le gouvernement pourrait être contraint de réagir. En tout état de cause, certains prédisent déjà que le comité indépendant sur les dépenses maladie chargé de sonner le tocsin en cas de risque de dérapage sérieux (+ 0,75 %) pourrait déclencher l’alerte le 1er juin prochain obligeant le gouvernement à prendre des mesures de redressement immédiates. « C’est probable » confie un député de la majorité.
Ce n’est pas un hasard non plus si la mission sur l’ONDAM confiée par Nicolas Sarkozy à Raoul Briet devrait se traduire par des mesures de contrôle accru sur les dépenses maladie (après 13 ans de dérapages…). Si le groupe de travail devrait rejeter les baisses systématiques de tarifs ou de taux de remboursement, un resserrement du pilotage est à l’étude : le seuil de déclenchement de l’alerte devrait être abaissé (dès que le risque atteint 0,5 %), les avertissements donnés plus régulièrement, d’éventuels crédits mis en réserve (MIGAC), et les revalorisations tarifaires encore plus conditionnelles.
Les différents secteurs de la santé devront composer avec cette contrainte. À l’hôpital, Nicolas Sarkozy l’a dit et répété, il s’agit de ramener à l’équilibre la totalité des hôpitaux publics d’ici à 2012. Cet objectif « zéro déficit » exigera un effort significatif des établissements concernés (40 % du parc était dans le rouge en 2008 dont les trois poids lourds – Hospices civils de Lyon, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et Assistance Publique-Hôpitaux de Paris). Pour relever ce défi, le gouvernement mise sur la nouvelle gouvernance interne, la tutelle étroite des Agence régionale de santé (ARS) et la diffusion de la culture de la « performance » dans les établissements. En médecine de ville, l’annonce récente de Nicolas Sarkozy du C = CS = 23 euros, mais pas avant 2011, traduit paradoxalement l’étroitesse des marges de manuvre actuelles (Bercy était très hostile à cette augmentation évaluée à 260 millions d’euros en année pleine et a tout fait pour en retarder au maximum l’application). Dans ce contexte, ceux qui appellent de leurs vux un « plan Marshall » sur les soins primaires risquent de l’attendre encore quelque temps.
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