PRÈS DE 600 PERSONNES se sont retrouvées à Paris pour le deuxième congrès international des victimes de l’inceste. Sans tabou, elles ont évoqué la question de la parentalité pour ceux que l’AIVI (Association internationale des victimes de l’inceste), appelle les « survivants » de l’inceste. Si la parole est libre dedans les murs du colloque, il reste encore beaucoup à faire, semble-t-il, lorsque l’on s’éloigne des discussions fermées entre victimes et spécialistes. Les chercheurs venus de l’étranger exposer les études qu’ils ont menées concernant le lien entre parentalité et inceste ont avant tout exprimé leur perplexité face à... l’absence d’études.
Le Dr Catherine Bonnet a mené des recherches il y a plus de vingt ans, qui devaient montrer le rapport entre l’inceste et le fait de devenir mère. « Au départ, je me penchais sur les raisons qui poussent les femmes à laisser leurs enfants dans des centres d’adoption. En France, à cette époque, on ne pensait qu’à la pauvreté. J’ai découvert d’immenses souffrances, que j’ignorais totalement. Je n’y avais pas du tout été formée. En 1996, nous avons voulu ouvrir un centre de soutien pour ces femmes. Au bout de six mois, il a été fermé. Il y a un problème en France. » La pédopsychiatre s’est exilée à l’étranger, et notamment en Grande-Bretagne. Elle a pu compiler un certain nombre de situations cliniques au cours desquelles des traumatismes incestueux ont été révélés : demandes d’IVG en état d’angoisse, grossesses négligées, mal ou pas suivies, déclarées tardivement… « Cela peut paraître incroyable, mais il arrive que certaines femmes aillent jusqu’à nier le lien entre un rapport sexuel et une grossesse. On appelle d’ailleurs cela des "grossesses impensables". La prise de conscience du ftus peut réactiver des expériences traumatiques. Les mères ne différencient pas le ftus de leur trauma. Avec certaines, on ne pouvait parler que de leur grossesse, mais pas du bébé, ni de l’accouchement, encore moins du "projet" . Malgré elles, ces femmes étaient envahies par des pensées négatives, elles se frappaient le ventre, en prise à de violentes pulsions envers elles-mêmes. Généralement, le simple fait de leur permettre d’exprimer ces pensées a eu un effet thérapeutique. Une psychothérapie brève et un accompagnement pluridisciplinaire avant la naissance peuvent être bénéfiques. En France, nous manquons cruellement d’études cliniques et biologiques. Et pour mieux détecter les victimes d’inceste, il faut former les professionnels. »
Devenir de meilleurs parents.
La Canadienne Christine Kreklewetz a, quant à elle, étudié les effets de l’inceste sur la parentalité. Elle a observé comment les mères survivantes de l’inceste reconstruisent leur « moi » endommagé. Elle a notamment rencontré 16 mères survivantes de l’inceste, recrutées via des centres de soutien. La moitié était divorcées. Toutes avaient au moins une fille âgée entre 9 et 14 ans. La majorité, explique-t-elle, exprime clairement la volonté d’être un parent différent et meilleur que ne furent les leurs. Et de citer le pédiatre américain Benjamin Mc Lane Spock : « Pendant toute l’enfance, l’être humain est à la fois un enfant et un parent en apprentissage. Lorsqu’il devient parent, il devient d’abord un parent qui revit son enfance. » Ces femmes sont également en forte demande d’information sur la parentalité, qui est perçue par elles comme « difficile et stressante », bien que le processus d’apprentissage s’allège de plus en plus avec le temps. « Il devient plus naturel et élever le deuxième enfant leur est souvent plus facile. »
Hyperconformistes.
La chercheuse a observé des stratégies de protection développées par les mères, qui, notamment, supervisent les contacts de leur enfant avec certaines personnes dans certaines conditions. Interdire à son enfant de passer la nuit chez des voisins, éviter qu’il se trouve en présence d’adultes alcoolisés, organiser ses horaires de travail pour ne jamais avoir recours à une baby-sitter… « Une femme me racontait qu’elle paniquait quand son mari tardait trop au moment de mettre les enfants au lit. Elle restait bloquée au bas des escaliers et si elle n’entendait rien, elle montait s’assurer que les câlins ne durent pas trop longtemps. »
Les hommes survivants de l’inceste parlent eux aussi de plus en plus et il conviendrait de se pencher également sur leur vécu. La psychologue clinicienne et chercheuse Marie-Pierre Milcent, française expatriée au Canada, a tenté de dessiner un profil des pères incestueux. Mission impossible, se résout-elle, puisque son étude a conclu à l’ « apparente normalité » de ces hommes .« Ces non-résultats sont en soi un résultat, se console-t-elle , ils révèlent un peu plus la souffrance des victimes et puis ils nous disent que en tant qu’intervenants, il faut nous méfier de l’hyperconformisme ».
À lire : « Être parent après l’inceste », Isabelle Aubry et Sandrine Apers aux Éditions J.Lyon
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