Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022 prévoit la généralisation des « unités d’accueil pédiatriques enfance en danger » (UAPED) [voir encadré]. Vous êtes coordinatrice d’un dispositif pionnier au CHU de Nantes. Quelle est la situation en France ?
Dr Nathalie Vabres : Plus de 60 unités existent, mais les dispositifs sont disparates : certains CHU ont une salle d’audition, mais pas d’équipe étoffée, ou l’inverse. Face à ce constat, nous travaillons avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS), la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et le ministère de la Justice, à un cahier des charges pour davantage d’homogénéisation et de meilleures collaborations avec les autres institutions.
En outre, nous plaidons avec la Société française de pédiatrie médico-légale pour des UAPED à deux entrées : à côté du parcours médico-judiciaire, il serait intéressant d’avoir un volet consacré au dépistage des violences, notamment au sein des services pédiatriques ou d’urgences pédiatriques des hôpitaux qui doivent pouvoir nous solliciter au moindre doute. Un enfant sur 10 est victime !
À Nantes, les réquisitions représentent plus de la moitié de notre activité, le dépistage, un tiers. En 2019, nous avons reçu 433 enfants pour des auditions et délivré 1 000 avis, y compris dans le cadre d’auditions. Mais en 2020, la proportion devrait s’inverser avec la crise liée au Covid-19.
Quelles sont les répercussions de la crise sanitaire chez les enfants ?
Lors du premier confinement, la justice nous a moins sollicités. Les passages aux urgences sont descendus à 30 ou 40 par jour, contre 120 habituellement. Mais nous n’avons pas baissé notre activité pour autant, et ceci jusqu’en août. Nous avons été beaucoup sollicités pour du dépistage, et nous avons observé davantage de cas graves, nécessitant un signalement ou une hospitalisation.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un tsunami de dommages collatéraux liés au Covid. La santé mentale des jeunes est très aggravée, avec idées suicidaires, anxiété, tentatives de suicides. La crise majore les tensions familiales préexistantes ou les maltraitances que subissent ces enfants. Encore ce matin, nous avons reçu plusieurs appels pour des enfants hospitalisés cette nuit qui relèvent de violences ou maltraitances chroniques, dont un enfant de CM2 qui voulait se jeter par la fenêtre.
On dit souvent que les médecins signalent peu les cas de maltraitance.
Ils dépistent de mieux en mieux. Le chiffre souvent avancé de 5 % de signalements issus des médecins date. En Loire-Atlantique, comme dans d’autres départements où l’on travaille avec le référent de la protection de l’enfance pour les sensibiliser, on est à plus de 15 % de signalements de source médicale.
Mais le médecin seul dans son cabinet ne peut pas tout faire. Il peut dépister, faire de la prévention, faire remonter une information préoccupante (IP). Il peut dire à une famille : « vous me dites que votre enfant est en difficulté, l’école vous a appelés plusieurs fois, je ressens du danger, j’écris au conseil départemental pour demander une évaluation » ou « je vous adresse à l’hôpital ». La plupart des parents maltraitants sont en souffrance et peuvent entendre ça.
Mais annoncer un signalement dans un contexte de fortes violences, avec menaces, non. Comme pour une leucémie grave, le généraliste a besoin d’une équipe spécialisée. À l’hôpital, nous pouvons faire des annonces, en multipliant les entretiens, à plusieurs professionnels, nous sommes protégés.
Des cas d’inceste ne cessent d’être révélés. Ressentez-vous une prise de conscience de la maltraitance comme un problème de santé publique ?
Oui, la médiatisation des crimes commis contre les enfants est heureuse. On observe une prise de conscience de l’ampleur du phénomène : 300 000 enfants sont protégés en France, à domicile ou placés. C’est plus que le diabète de type 1 dans une patientèle d’enfants ! On appréhende enfin le problème sous le versant de la santé.
C’est l’aboutissement d’un long cheminement, qui a commencé par la reconnaissance de l’enfant comme tel (et non comme un mini-adulte), de la pédiatrie, puis par la reconnaissance de l’existence de violences, majoritairement commises dans le cercle proche.
Mais c’est toujours un combat : nous devons changer nos clichés et schémas éducationnels. Le médecin peut afficher dans son cabinet que les fessées, les « violences éducatives ordinaires » (VEO), ne sont pas bonnes pour la santé. Ça ne veut pas dire que l’on renonce à mettre des limites : un enfant en a besoin pour grandir. Mais l’éducation n’est pas de la soumission. On peut aider les parents à réfléchir à une éducation qui donne confiance aux enfants.
Que pensez-vous d’un seuil d’âge pour le consentement ?
En tant que médecin, la question du consentement chez un enfant de 15 ans est une aberration, idem pour un mineur sous emprise. Mais quelle est la bonne réponse sur le plan juridique ? Je laisse les juristes se prononcer.
Les lois sont-elles importantes néanmoins dans l’exercice quotidien du médecin ?
Oui, absolument. Tous les jours, les médecins s’appuient sur la loi pour dire : vous ne pouvez pas faire ça. Par exemple, la loi sur les VEO nous permet de rappeler aux parents que le Code civil interdit les violences physiques et psychologiques. D’où l’importance de la clarté des textes !
En quoi consiste le projet « Santé protégée » que vous avez initié ?
Au CHU de Nantes, avec le médecin référent de la protection de l’enfance du département, nous nous demandions comment appliquer la loi du 14 mars 2016 qui veut que tous les enfants entrant dans un dispositif de protection aient un bilan de santé.
Nous nous sommes appuyés sur l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 pour soumettre un projet à la DGCS. Ce projet étant devenu national, trois autres départements y participent : la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Vienne.
Il prévoit qu’un généraliste ou un pédiatre formé à la protection de l’enfance et à la clinique des violences faites sur mineurs, réalise un bilan complet du jeune lors de son entrée dans un dispositif de protection. Cette consultation, considérée comme très complexe, éclairée par un cahier standardisé, doit permettre de dépister ce qui doit l’être, d’orienter vers des soins, d’émettre des préconisations. Le médecin devient un référent pour le jeune : il doit s’assurer du suivi, le revoir, lui apprendre la prévention, l’amener à revivre dans son corps et à en prendre soin.
Nous avons inclus 10 enfants depuis début janvier. Sur les 6 000 enfants concernés par une mesure de protection en Loire-Atlantique, c’est trop peu, mais cela indique que le dispositif, qui court sur quatre ans, est enclenché.
Quel regard portez-vous sur la protection de l’enfance ?
La richesse de la protection de l’enfance, qui implique beaucoup de professionnels, est trop peu mise en avant. On déplore souvent les failles, les délais à découvrir les maltraitances. Mais c’est parce que les enfants sont protégés qu’ils vont se confier. Cela prend du temps pour des jeunes qui ont été trahis par des adultes. Beaucoup de temps. La protection de l’enfance, c’est de la collaboration pour tricoter du sur-mesure pour chaque enfant, c’est de la dentelle.
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