LE QUOTIDIEN : Quelle démarche a guidé votre enquête auprès d’une quarantaine d’acteurs de terrain au cours de la crise, dont des hospitaliers ?
OLIVIER BORRAZ : Nous sommes partis de plusieurs étonnements. Celui d’un décalage d’abord entre l’investissement consenti depuis des années pour se préparer à gérer une crise majeure et le sentiment que depuis mars, une grande impréparation voire une panique, ont poussé à prendre dans l’urgence une décision aussi radicale que le confinement. Un deuxième étonnement porte sur les conditions qui ont conduit à prendre une telle décision, alors qu’elle ne figure dans aucun plan et n’a jamais été ni envisagée, ni étudiée ou testée.
Un troisième étonnement concerne ensuite la profusion d’instances créées dès le mois de mars dans les champs de la santé et de la gestion de crise, alors qu’il existe déjà de nombreuses organisations dédiées. Un dernier étonnement se rapporte à l’hôpital, un environnement traditionnellement marqué par des conflits et où soudain, avec la crise, les tensions disparaissent pour laisser la place à une coopération et une solidarité inédites entre les personnels.
Quelle logique voyez-vous à l’œuvre dans la décision de créer de nouvelles instances telles que le Conseil scientifique ?
Notre hypothèse principale, c’est le souci du président de la République, de son Premier ministre et du gouvernement de ne pas se lier les mains en faisant appel aux agences existantes. Ils n’ont pas souhaité s’appuyer sur Santé publique France ou d’autres instances sanitaires, peut-être par manque de confiance, et surtout par crainte de se voir imposer des solutions toutes faites. En créant des instances, l’exécutif espérait disposer de plus de souplesse et de liberté.
À quoi attribuez-vous cette méfiance des politiques envers les agences ?
Dès le début de son mandat, Emmanuel Macron a exprimé sa méfiance à l’égard de la haute administration, soupçonnée de lourdeur et de rigidité, voire de résistance au changement. En 2017, la gestion de la tempête Irma dans les Antilles s’est révélée assez chaotique, avec notamment une défiance envers la sécurité civile, qui a été moins sollicitée par la suite. Et la Cellule interministérielle de crise (CIC) n’a été activée que le lendemain de la décision du confinement, alors que certains ministères demandaient son activation dès le mois de janvier.
Lors de la prochaine menace sanitaire, environnementale ou technologique, il faudrait ne pas nous retrouver dans le même moment de sidération puis de panique. Il nous faut intégrer une démarche d’anticipation et ne pas attendre que les hôpitaux soient débordés pour agir et être contraint à un confinement brutal avec des conséquences lourdes.
La même question se pose avec le couvre-feu qui n’a pas non plus fait l’objet d’une anticipation, alors que cela fait plusieurs semaines que la situation se dégrade. À nouveau, il s’agit d’une solution inédite dans le champ de la santé publique, qui ne figure dans aucun plan, et dont on ne connaît pas les effets.
Quel impact ce processus de décision a-t-il eu sur la communication du gouvernement ?
Nous avons une communication qui se cherche encore et ne propose pas une vision à moyen ou long terme sur la façon de se préparer à vivre avec cette pandémie. L'intervention télévisée du président de la République, le 14 octobre, propose une perspective de six semaines, comme en mars, tout en laissant entendre que la crise durera bien au-delà. Mais on ne sait pas bien quels éléments pourraient conduire à infléchir cette perspective. Les données sur lesquelles s’appuient les décisions restent imprécises, changeantes et finalement peu robustes.
C’est une perspective qui peut susciter de l’inquiétude, mais aussi une très grande fatigue, notamment chez les personnels hospitaliers. Cette fatigue se ressent dans d’autres organisations et peut être un élément supplémentaire de fragilité dans les mois à venir. Car contrairement à la période des mois de mars à mai 2020, elles s’inscrivent ici dans une gestion à long terme de la crise, à laquelle personne n'est préparé.
Quant à la question de savoir si la lutte contre le Covid justifie qu’on sacrifie la prise en charge d’autres pathologies, elle n’est jamais abordée. Or, d’un point de vue de santé publique, c’est une vraie question.
(1) « Covid-19 : une crise organisationnelle », éditions Presses de Sciences Po
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