Les deux pédopsychiatres Françoise Fericelli et Eugénie Izard, poursuivies à la suite de leur signalement de maltraitance, ont vu leurs sanctions respectives confirmées par la chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins, en appel, fin janvier.
La Dr Françoise Fericelli faisait appel d'un avertissement que la chambre disciplinaire de l'ordre des médecins Auvergne-Rhône-Alpes lui avait infligé en février 2021 pour immixtion dans les affaires familiales et rédaction d'un certificat de complaisance en faveur de la mère d'un enfant pour lequel elle a fait un signalement en mars 2016. La Dr Eugénie Izard contestait, elle, une suspension d'exercice de la médecine pendant trois mois, prononcée en décembre 2020 par la chambre nationale de l'Ordre, au motif, aussi, d'une « immixtion dans les affaires de famille ».
Les deux médecins avaient été entendues par la chambre disciplinaire nationale le 24 novembre dernier.
Au-delà des constatations strictement médicales
Alors que l'importance du signalement des médecins est régulièrement rappelée par les acteurs de la protection de l'enfance - la commission indépendante sur l'inceste, la Ciivise, par exemple, plaide pour une obligation de signalement -, que reproche la justice ordinale à ces deux médecins ? Des écarts par rapport à une description strictement médicale des faits et des prises de position, dans la rédaction de leurs courriers.
La chambre disciplinaire reproche à la Dr Fericelli, qui suivait un enfant de 6 ans, aîné d'une fratrie prise dans un divorce tumultueux, la rédaction d'un certificat de complaisance en mars 2016. Est notamment en cause la phrase : « la violence intrafamiliale extrême qui m'est décrite et que j'ai en partie observée ». La Dr Fericelli n'a pas « indiqué devant la chambre comment elle a pu elle-même "observer" la situation de violence ainsi décrite. Par ces mentions, elle ne s'est pas bornée à faire état des constatations et du diagnostic médical posé à propos de son jeune patient, mais a rédigé un certificat tendancieux pouvant être instrumentalisé dans le cadre du conflit parental », considère la chambre nationale.
L'instance administrative lui reproche en outre un courrier envoyé au juge des enfants en 2018, qui comporte « très peu d'éléments sur la situation médicale du jeune patient et décrit surtout les relations très conflictuelles » entre elle et le père. Il y a, selon la justice ordinale, immixtion dans les affaires familiales dès lors que la médecin a porté à « la connaissance de l'autorité judiciaire des éléments dépréciatifs à l'encontre d'un des deux parents », sans se borner à relater des constatations médicales.
Plainte ordinale
Dans l'affaire de la Dr Eugénie Izard, ce n'est pas le père qui poursuit la médecin, contrairement à sa consœur, mais le conseil départemental de Haute-Garonne. La Chambre nationale en appel lui donne raison en partie, estimant que la pédopsychiatre, qui suivait une jumelle âgée de 8 ans au début de la prise de la prise en charge, également dans un contexte de séparation conflictuelle, a adopté une attitude d'immixtion dans les affaires familiales.
C'est encore la rédaction d'un courrier (en 2014, au juge des enfants) qui est incriminée. La pédopsychiatre, par ailleurs présidente d'une association de protection de l'enfance (Reppea) y fait part de son opposition à une proposition de placement en famille d'accueil, en critiquant le travail des enquêtrices, et en assurant que la mère est une « figure protectrice » alors que la fillette aurait « un vécu traumatique en rapport avec l'imago paternelle ». La chambre considère que la Dr Izard sort alors de son rôle de médecin, ce dont elle s'est rendue aussi coupable lorsqu'elle a prodigué à la mère qui a réalisé une vidéo pour dénoncer via des figurines les maltraitances paternelles, des « conseils visant à accréditer l'hypothèse des maltraitances litigieuses ».
La justice ordinale écarte en revanche plusieurs griefs, par exemple la communication du dossier médical à la mère, et surtout la rupture du secret médical (au motif que la praticienne aurait écrit au juge des enfants et non seulement au procureur), reprenant ainsi la décision du Conseil d'État de mai 2022. Elle inflige néanmoins une interdiction d'exercice de trois mois, dont un mois avec sursis, et un mois déjà exécuté, si bien que la Dr Izard devra fermer son cabinet « seulement » en avril.
Colère et pétition
« Pas de pitié pour les médecins protecteurs et complaisance pour les agresseurs ? », a réagi sur les réseaux sociaux la Dr Fericelli, dénonçant un « acharnement » contre des professionnels. Et d'interpeller le gouvernement. « Madame la ministre Charlotte Caubel vous trouvez cela normal ? Monsieur François Braun vous trouvez cela normal ? ».
À travers une pétition du Collectif Médecins stop violence, qu'elles ont cofondé, les Drs Izard et Fericelli appellent à modifier le cadre législatif et réglementaire, en inscrivant dans la loi une obligation de signalement au procureur de la République ou aux autorités administratives (cellules de recueil des informations préoccupantes, Crip) pour tous les médecins - avec la possibilité d'adresser un signalement à plusieurs instances (juge des enfants, aux affaires familiales, d'instruction, etc.).
Le collectif demande l'irrecevabilité des plaintes ordinales et l'interdiction des poursuites et condamnations, dès lors que les médecins ont fait une action de bonne foi. Et l'interdiction des poursuites ordinales pour non-respect de l'autorité parentale conjointe, dans le cadre de suspicions de maltraitances. « Le médecin doit pouvoir proposer des soins adéquats sans l'accord des deux parents, puisque le parent maltraitant s'oppose systématiquement aux suivis ».
La pétition a recueilli plus de 3 300 signatures, dont celles de défenseurs de la protection de l'enfance, comme les Dr Gilles Lazimi et Emmanuelle Piet.
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