Soixante ans de Droits de l’homme

Le désir et la nécessité

Publié le 11/12/2008
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Crédit photo : S TOUBON

BERNARD KOUCHNER a fait ce constat d’une autre manière en regrettant d’avoir demandé, dans un entretien avec « Le Parisien », la création d’un secrétariat d’Etat des Droits de l’homme. Aussitôt, Rama Yade, titulaire du poste, s’est sentie blessée et a rappelé ce qu’elle avait accompli en 18 mois dans le cadre de ses fonctions. Et Jean-François Copé, chef de l’UMP à l’Assemblée, a soutenu Rama Yade. M. Kouchner s’est empressé de préciser qu’il ne critiquait pas sa secrétaire d’État, mais le principe même d’un minsitère dédié aux Droits de l’homme. Toujours est-il que personne n’aurait cru que le fondateur de Médecins sans frontières et inventeur du droit d’ingérence (mieux, du devoir d’ingérence) en arrive, au terme d’une riche carrière consacrée aux damnés de la terre, à exprimer aussi vigoureusement son désenchantement.

L’exemple de Robert Badinter.

Si on est réaliste, on approuvera M. Kouchner ; si on reste idéaliste, on le critiquera. Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel, ne renonce pas. Il n’a aucune illusion sur le respect des Droits de l’homme dans le monde mais il continue à les défendre farouchement. Si on cède aux nécessités de la realpolitik, on est au moins sûr d’une chose, c’est que les Droits de l’homme continueront à être violés. Il n’est pas inutile de s’accrocher à cet idéal pour empêcher le bulldozer du totalitarisme d’écraser les gens qui se dressent contre lui, pour garder un espoir en quelque sorte. D’autant que la tâche n’est jamais terminée, y compris dans nos démocraties parlementaires.

En France, nous nous gargarisons avec la certitude d’appartenir à la « patrie des Droits de l’homme », mais nous ne sommes pas en tous points exemplaires. Nous avons tout à craindre des nécessités conjoncturelles qui nous contraignent à sacrifier ces droits. Depuis l’époque où le président Valéry Giscard d’Estaing affirmait que la peine du condamné, c’est la détention et la détention uniquement, dans quel état nos prisons sont-elles aujourd’hui ? Comment accepter que des détenus soient entassés dans des cellules trop petites, qu’ils soient souvent privés de l’hygiène la plus élémentaire et qu’ils se suicident assez souvent pour qu’on ait le sentiment que la société, d’une certaine manière, les a condamnés à mort ? Que signifie ce projet de réforme de la justice qui enfermerait des mineurs de 12 ans, comme si nous devions voler leur enfance aux enfants ? De quel droit un citoyen français bénéficie-t-il s’il est chômeur, s’il est SDF, si la société est incapable de lui procurer les moyens de sa dignité ? La presse est-elle libre en France quand les journalistes sont contraints de révéler leurs sources et quand on perquisitionne les rédactions ? Un journaliste qui n’aurait pas répondu à la convocation d’un juge doit-il, en France et en 2008, être menotté et fouillé ? Et quand les tenants d’une religion lancent l’anathème contre des caricaturistes, ceux-ci jouissent-ils de la liberté d’expression ?

À l’étranger, c’est pire. Une nation gardienne des Droits de l’homme dans le monde, l’Amérique, adopte des lois pour lutter contre la terreur et, au nom de la liberté, réduit celle de ses propres sujets, admet la torture, traite et juge ses ennemis avec les moyens qu’ils préconisent eux-mêmes. Nicolas Sarkozy est empêtré dans ses relations avec la Chine parce qu’il a fini par rencontrer le dalaï-lama et que, pour faire un exemple, le gouvernement chinois menace la France de diverses représailles, en utilisant un langage qui vaut le coup d’éventail du Dey d’Alger.

Est-ce seulement supportable ? Faut-il, en toute occasion, et à cause des nécessités de la crise, perdre toute ambition d’affranchir des peuples sous le joug ? Qu’avons-nous fait au Darfour dont nous puissions être fiers ? Comment avons-nous accepté un jour que la Libye de Kadhafi préside la commission des Droits de l’homme de l’ONU, comment avons-nous accepté une conférence à Durban qui puait l’antisémitisme le plus grossier ? Qu’avons-nous fait pour le peuple tchétchène, pour la Géorgie, contre les dictatures qui parsèment le monde, contre les multiples abus de droit commis en Afrique, contre la mise à sac du Zimbabwe par son président à vie, contre la mort lente des zimbabwéens maintenant décimés par le choléra ? Contre les horreurs qui se passent au Congo où le viol massif est l’arme de conquête des insurgés ? Contre toutes ces guerres interminables qui ne sont même plus commentées dans les journaux alors que des peuples entiers en pâtissent et sont privés de tout espoir à court et à long terme ? Contre les droits de la femme en particulier, contre tout ce que lui font subir des sociétés pourtant apaisées, mais où le sport national des hommes consiste à battre leurs épouses parfois jusqu’à les tuer ? Contre des épidémies qui assassinent massivement les enfants ou contre des guerres qui en font des soldats encore plus cruels que les adultes ? Arrêtons là.

Le bilan est lourd. La lutte en faveur des Droits de l’homme n’a pas encore commencé. Et s’il restait en chacun de nous une once de compassion, si nous n’étions constamment distraits par nos petites douleurs intestinales, si nous avions le sens de la justice comme on l’a à vingt ans, l’âge où l’on croit que tout est possible, nous ne ferions que ça, nous lutterions exclusivement pour les Droits de l’homme. Comme Robert Badinter qui, au soir de sa vie, continue de croire aux Droits de l’homme et à militer en leur faveur. Quand tout est perdu, cela s’appelle l’aurore.

LES DROITS DE L’HOMME SONT BAFOUÉS PARTOUT À L’ÉTRANGER ET PARFOIS MÊME EN FRANCE

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 8479