LE QUOTIDIEN : Quels parallèles peut-on établir entre les épidémies de sida et de Covid-19 ?
PR MICHEL KAZATCHKINE : Le premier relève de l’incompréhension et de la sidération devant une nouvelle épidémie. Avec le Covid-19, les populations ont été déroutées par les incertitudes de la science. Souvenons-nous que l’émergence du sida a été marquée par les mêmes tâtonnements sur les modes de transmission ou l’évolution de la maladie. De la même façon, se propagent les fausses rumeurs, le complotisme, la stigmatisation et le développement de mythes.
Un autre parallèle porte sur la façon dont la santé publique arrive d’un coup au premier plan. On comprend également que le virus est le même pour tout le monde, mais que nous ne sommes pas égaux face à lui. Si nous sommes tous potentiellement affectés, des groupes sont plus vulnérables, notamment, pour le Covid, les personnes âgées et toutes les populations défavorisées.
En matière de démocratie sanitaire, les leçons de l’épidémie de sida ont-elles été tirées ?
L’approche face au Covid a été extrêmement hygiéniste. L’urgence a justifié des restrictions, annoncées en France directement par le président de la République. Il n’y a pas eu de relais vers le haut pour écouter les inquiétudes des citoyens, ni vers le bas pour permettre aux citoyens de comprendre et de s’approprier les mesures.
Or, le sida nous a appris qu’on ne peut pas imposer la prévention, on ne peut pas imposer le port du préservatif. Ce dernier n’est devenu une routine qu’à partir du moment où les gens se le sont approprié et sont devenus des acteurs responsabilisés de la prévention.
Dans une tribune publiée dans « Le Monde » en avril dernier, vous appeliez à une réponse mondiale tirant bénéfice de l’expérience du sida. Pourquoi la mobilisation n'a-t-elle pas été plus rapide ?
Le cadre international a changé. Le sida, d’abord détecté dans les pays riches, était rapidement devenu un problème des pays pauvres du sud avec des solutions générées au nord. La solidarité internationale s’est construite dans cette perspective nord/sud, verticale, qui a débouché sur des investissements internationaux massifs, sur la création du Fonds mondial et de l’alliance Gavi pour les vaccins, sur des résolutions de l’ONU, etc.
Avec l’épidémie de Covid, les pays du nord sont pour l’instant plus touchés et les solutions viendront également de nouveaux acteurs comme en Chine ou en Russie. Le monde géopolitique est devenu multipolaire.
Malgré l’adage « no one is safe unless anyone is safe », la réponse a été cacophonique. Même à l’intérieur de l’Europe, chaque pays a monté sa réponse nationale, ses essais cliniques, et c’est à peine si chacun n’a pas commencé à pré-acheter ses vaccins.
La prise de conscience que le Covid est un problème global a été longue. Et la coopération internationale s’est heurtée à la panique de l’urgence et aux clivages géopolitiques actuels et en particulier à la tension entre la Chine et les États-Unis et à l’unilatéralisme américain.
Comment dépasser les clivages pour permettre une réponse internationale ?
Il nous faut comprendre pourquoi, malgré les instruments dont on dispose, la communauté internationale a été débordée par l’urgence. Quand l’OMS a déclaré l'urgence de santé publique globale le 20 janvier, pourquoi personne n'a-t-il réagi en dehors des pays asiatiques qui avaient connu le SARS ? En mars 2020, le Conseil de sécurité s'est réuni plusieurs fois mais n'est pas parvenu à une résolution, alors que cela avait été le cas pour le sida et Ebola. L’échec vient de la volonté américaine d’accoler « chinois » au nom du virus…
L’Assemblée générale de l’OMS a tout de même réussi à se mettre d’accord pour une évaluation du système de préparation et de réponse à l’urgence. Un panel indépendant, dont je fais partie, a été nommé pour comprendre les défaillances.
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