L’urgence à (la) grande échelle

« IL Y A UNE CULTURE sapeur-pompier. » À sa voix assurée, on perçoit que le médecin-chef Laurent Domanski est fier d’être à la têtedes 250 professionnels de santé, dont 120 médecins, de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Cette culture est peut-être due aux formations spécifiques que reçoivent les médecins militaires, qu’ils aient commencé leur carrière dans les écoles du Service de santé des armées ou dans le civil. Parallèlement aux diplômes universitaires traditionnels, comme la capacité d’aide médicale urgente (CAMU) ou la capacité de médecine de catastrophes, ils ont acquis des compétences dans les interventions en milieu périlleux (en rappel, au feu, en plongée...), les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), ou encore le soutien médical au combat urbain à haute intensité.

Cette culture peut également naître du travail d’équipe. « Dans le cadre de catastrophes ou d’attentats qui touchent plusieurs victimes, comme celui de Port-Royal, où je suis intervenu en 1996, on se rend compte que seul, on n’est pas grand-chose : il faut se connaître et savoir également collaborer avec le SAMU », témoigne le Dr Laurent Domanski. « La brigade, c’est un esprit de famille » résume encore le Dr Sabine Lemoine, médecin principal de l’antenne médicale de Massena, officier sous contrat. Il faut enfin reconnaître que ces jeunes professionnels, qui ont entre 35 et 45 ans, semblent liés par une véritable passion pour leur métier. Le Dr Benoît Frattini, également médecin principal de l’antenne médicale de Massena, est entré en septembre 2009 à la BSPP, après avoir fait ses premières armes dans le régiment de chasseurs de Verdun et des missions en Afrique et au Liban. « C’est l’endroit où je rêvais d’aller. Peut-être pour la recherche d’adrénaline », confie-t-il.

Toujours est-il que les médecins de la Brigade des sapeurs-pompiers possèdent une identité propre. Certaines de leurs missions recoupent parfois celles des urgentistes. Au-delà du soutien aux forces de pompiers (en intervention ou dans le cadre de la médecine préventive et du contrôle de l’aptitude à l’emploi), ils participent en effet aux secours, en coopération avec le SAMU, sur le territoire de Paris et des 3 départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne). « C’est une mission attractive, qui permet aux médecins de rester à leur meilleure forme », explique le médecin-chef Domanski.

Prise de décisions rapide.

Ils ne se confondent pourtant pas avec les urgentistes hospitaliers, même s’ils continuent leurs gardes à l’hôpital. Il y a urgence et urgence, et les interventions sur le terrain des médecins pompiers relèvent davantage du préhospitalier, revêtant par là même un caractère plus aigu. Parmi les épisodes qui ont marqué sa carrière, le Dr Laurent Domanski se souvient en particulier d’avoir effectué une ponction péricardiaque au domicile d’une jeune fille, qui, sous médicaments, s’était poignardé le torse. « Lorsque nous intervenons en préhospitalier, nous sommes dans la détresse vitale : infarctus, troubles cardiaques, traumatologie routière, chutes... Ces patients n’ont pas le temps d’arriver aux urgences, cela demande une prise de décision extrêmement rapide », explique le Dr Benoît Frattini.

Sans compter que les situations sont parfois périlleuses. « Dans les feux, il n’y a jamais la bonne pièce pour installer un poste médical avancé », remarque Laurent Domanski. « Vue l’architecture des immeubles parisiens, avec des escaliers en colimaçon et sans ascenseur, il n’est pas rare de sortir un patient par la fenêtre du 7^e étage, à l’aide d’une grue, d’une nacelle, et d’une corde », ajoute le Dr Frattini. Ce dernier est aussi allé chercher des personnes égarées dans les catacombes ou a participé à une opération de sauvetage d’un homme coincé dans un puits effondré. « Au fond, nous faisons le même travail que des urgentistes mais nous baignons dans une culture d’organisation et de plans de secours », résume-t-il.

Innovation

C’est en effet le service de santé de la BSPP qui est pionnier en matière de plans rouges. Le premier a été mis en place en 1978 après qu’un incendie rue Raynouard, à Paris, suivi d’explosions, a tué 13 personnes et blessé de nombreuses autres. « Depuis, nous n’avons jamais cessé de développer ces plans, qui ont été étendus à toute la France, à l’image du plan rouge alpha, en cas d’attaques terroristes simultanées, créé après les attentats de Londres et Madrid », affirme le médecin chef Domanski.

L’innovation est pour lui au cœur des missions du service de santé de la Brigade. Si les restrictions budgétaires de l’armée ne permettent pas d’avoir, aujourd’hui, un large champ de manœuvre, la formation, autre mission importante des médecins sapeurs-pompiers, bénéficie néanmoins toujours de cet esprit d’initiative. Prenant acte du fait que la gynécologie est rapidement enseignée aux secouristes, et elle-même spécialisée, à l’issue de ses études dans le civil, en gynécologie-obstétrique, le Dr Sabine Lemoine participe actuellement au développement d’une filière de prise en charge de la grossesse et du nouveau-né pour les secouristes.