À 5,5 ans, 35 % des enfants nés extrêmement prématurés (entre 24 et 26 semaines d’aménorrhée, SA) auront une trajectoire sans difficulté neurodéveloppementale, une proportion qui s'élève à 45 % pour les enfants nés entre 27 et 31 SA (grande prématurité) et à 55 % pour ceux nés entre 32 et 34 SA (moyenne prématurité), révèlent les derniers résultats de la cohorte Epipage-2, publiés ce 29 avril dans le « British Medical Journal ».
L'étude Inserm-Université de Paris EPOPé dessine ainsi un tableau contrasté du devenir de ces enfants et montre que ceux qui en ont besoin ne bénéficient pas toujours de l'accompagnement nécessaire.
Epipage-2 a ainsi évalué quelque 4 000 enfants (3 083 exactement) nés en 2011, à travers un bilan médical et neuropsychologique ainsi qu'un autoquestionnaire rempli par les parents, à leurs cinq ans. « Âge qui correspond à un moment clé du développement de l’enfant permettant notamment le diagnostic de difficultés d’apprentissage et l’étude des compétences cognitives qui avant cet âge sont beaucoup plus difficiles », souligne Pierre-Yves Ancel, responsable de l’équipe EPOPé. « Epipage est une grosse machine qui mobilise 110 centres participants, 310 médecins, 187 psychologues », ajoute la co-auteure et chercheuse Véronique Pierrat. Six millions d'euros ont été investis pour suivre ces 4 000 enfants.
De grandes variations selon le degré de prématurité
Il ressort que les difficultés neurodéveloppementales globales observées à 5,5 ans dépendent du degré de prématurité. Parmi les enfants nés extrêmement prématurés, 27 % ont des difficultés sévères ou modérées (motrices, visuelles ou auditives ou déficiences intellectuelles), tandis que 34 % n'en ont aucune. Ces proportions passent respectivement à 19 % et 45 % chez les grands prémas, à 12 % et 55 % chez les prémas modérés, et à 5 % et 71 % dans le groupe de référence d'enfants nés à terme (592 issus de la cohorte Elfe). L'on remarque aussi qu'un tiers des enfants prématurés (quel que soit le stade) présentent des difficultés mineures qui « nécessitent cependant un soutien et une prise en charge adaptée pour éviter qu’elles ne retentissent sur le quotidien de l’enfant ou ses apprentissages », lit-on.
La quasi-totalité des prématurés sont scolarisés, avec des différences encore selon la prématurité. Près d'un quart des enfants nés entre 24 et 26 SA étaient dans une classe ordinaire avec soutien, 3 % d'entre eux en école spécialisée. Chez les grands prémas seulement 13 % bénéficiaient d'un soutien, une part qui tombe à 6 % pour la prématurité modérée.
Au moins, la moitié des enfants nés extrêmement prématurés et un tiers des grands prémas avaient besoin d'une prise en charge (para) médicale (orthophoniste, psychomotriciens, psy, orthoptiste ou kiné), contre un quart des prémas modérés ou du groupe de référence.
Mais 25 à 40 % des enfants ayant des difficultés sévères ne bénéficiaient pas d'interventions spécialisées, voire 35 à 65 % des enfants ayant des difficultés moyennes, souligne l'étude. En outre, peu fréquents (31 % des extrêmes prémas) sont ceux qui bénéficient d'un dossier réalisé par la MDPH (maison départementale des personnes handicapées), qui permet d'alléger le fardeau des prises en charge pour les familles.
Enfin, près de 60 % des parents d'un extrême préma font part de leur inquiétude concernant le langage, la coordination, les apprentissages ou le comportement, soit deux fois plus que ceux des enfants nés à terme. Parmi eux, une majorité évoque les troubles du comportement, à type de déficit de l'attention, d'hyperactivité, de gestion des émotions ou des difficultés avec leurs pairs.
Un suivi à améliorer
Depuis Epipage-1, qui porte sur des enfants nés en 1997, les premiers résultats d'Epipage-2 avaient révélé d'importants progrès en termes de survie sans morbidité sévère à 2 ans*. À cela, plusieurs évolutions : le développement de la corticothérapie, la promotion de l'allaitement maternel, une ventilation moins invasive, une meilleure prise en compte des parents dans les soins et une meilleure préparation des familles avant la naissance.
Mais il n'est guère possible de comparer les résultats sur le développement cognitif et comportemental, Epipage-1 ne s'y étant pas autant intéressé. « Au vu des données internationales, l'on peut faire l'hypothèse qu'au-delà de la survie et des séquelles motrices les plus graves, il n'y a pas eu de progrès significatif », avance Pierre-Yves Ancel.
Ces enfants nés prématurément connaissent donc encore beaucoup de difficultés, d'autant « qu'un petit problème peut en devenir un grand, quand la société ne suit pas, quand trouver une aide pour l'école, décrocher un rendez-vous médical ou déposer un dossier à la MDPH relève du parcours du combattant », a souligné Charlotte Bouffard, directrice fondatrice de SOS préma.
Véronique Pierrat, en tant que clinicienne, enchérit : « Je constate une régression dans l'accompagnement des enfants : il est difficile de trouver des professionnels, il faut préparer les dossiers trois ans avant pour éviter les ruptures entre centre d'action médico-social précoce (CAMSP) et service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), il faut attendre des mois pour avoir des bilans. »
Le monde de la prématurité plaide donc pour améliorer l'accompagnement de ces enfants, notamment en impliquant toujours mieux les parents, mais aussi, suggère le Pr Stéphane Marret, neuropédiatre, à l'adresse des autorités, en mettant en place des programmes de guidance parentale, en consolidant les réseaux de suivi pour repérer au plus tôt les écarts de développement, et en mettant en place les plateformes d’orientation et de diagnostic des troubles du neuro-développement. Chaque année, 55 000 enfants naissent avant terme.
* Près de 80 % des enfants nés en 2011 (Epipage-2) étaient vivants et rentraient à domicile versus 70 % des enfants nés en 1997 (Epipage-1); 5 % présentaient des paralysies cérébrales versus 10 %.
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