LE QUOTIDIEN : Agronomes & Vétériniares Sans Frontières (AVSF) est présente dans une vingtaine de pays en Amérique centrale et du Sud, Afrique de l’ouest et Madagascar, Asie du Sud-Est et Mongolie et soutient environ 60 projets par an. Quelles actions menez-vous contre les zoonoses ?
Dr MANUELLE MILLER : Nous sommes très impliqués pour l’amélioration de l’épidémio-surveillance des maladies animales, y compris dans les zones les plus isolées. Il faut savoir que, dans de nombreux pays, les ressources vétérinaires − qu’elles soient publiques ou privées − sont faibles, voire inexistantes. Les éleveurs sont totalement isolés. En conséquence, en cas d’épizootie* ou de zoonose*, l’information ne remonte tout simplement pas… et il n’y a bien entendu pas d’accès aux soins puisqu’aucun vétérinaire n’est susceptible de se déplacer.
C’est pourquoi, depuis plus de 40 ans, nous mettons en place des services de santé animale de proximité, fondés sur des Auxiliaires communautaires de santé animale (Acsa). Il s’agit d’éleveurs qu'AVSF forme (jusqu’à 12 semaines), afin qu’ils deviennent des relais du vétérinaire de territoire, pour réaliser l’épidémio-surveillance, donner des conseils techniques à leurs voisins voire des traitements (toujours sous supervision vétérinaire), ou appuyer les services de santé officiels dans leurs campagnes, par exemple de vaccination. Ces Acsa restent tout de même éleveurs, ce qui garantit leur ancrage au sein de leur communauté.
Dans certains pays, leur fonction et leur titre ont été reconnus officiellement : au Cambodge, au Togo et bientôt à Madagascar. C’est une vraie success story pour nous et les 11 autres organisations regroupées au sein du réseau Vétérinaire sans frontières (VSF) international, qui défendent ce principe auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).
Quels enseignements tirez-vous de cette crise du SARS-CoV-2 ?
La recherche s’est assez bien approprié le concept du One health , mais il reste du travail à accomplir à l’échelle des communautés. Cela commence par l’interconnexion des services de santé animale et humaine. Pour notre part, AVSF a aussi commencé à travailler avec Solthis, une ONG qui se consacre à l’amélioration des systèmes de santé humaine.
L'approche ne date pas d’hier. Au Cambodge par exemple, nous avons mis en place des Acsa qui travaillent sur l’antibiorésistance, la gestion des déchets médicaux et même plastiques, le suivi des zoonoses telles que la rage, la grippe aviaire, mais aussi l’hygiène alimentaire. Un travail de fond qui a aussi permis de mettre en lien les différents services locaux dédiés à ces questions, y compris l’assainissement, et qui ne se connaissaient pas forcément.
Autre exemple, au Mali, AVSF a monté des caravanes mixtes mobiles de santé humaine et animale. Elles réunissent infirmières, médecin, sage-femme et vétérinaire ou zootechnicien, et se déplacent en suivant les parcours de transhumance pour délivrer des services de soins et de sensibilisation auprès de relais communautaires aujourd’hui officiellement reconnus.
Comment lutter contre la déforestation sur le terrain ?
Il faut distinguer deux situations en termes d’élevage. L’élevage pastoral, tel qu’il est pratiqué en Mongolie ou dans le Sahel par exemple, ne contribue pas au changement climatique, il en est plutôt victime. Il s’agit en effet d’éleveurs nomades qui n’utilisent quasiment pas de cultures fourragères, et dans des zones arides, qui n’entrent pas en concurrence avec la forêt.
Ailleurs, AVSF travaille avec des élevages familiaux de petits effectifs − petits ruminants, volailles, porcs et plus rarement bovins − avec toujours l’idée d’une autosuffisance alimentaire. Nous proposons de mettre en place des cultures fourragères adaptées au contexte local, dans des espaces qui ne concurrencent pas la production agricole destinée à l’alimentation humaine, voire qui aident à la valoriser, à l’image des haies, qui servent à la fois aux petits ruminants et de barrière anti-érosion.
AVSF cherche aussi à valoriser des aliments non conventionnels (tels que les insectes) et des déchets agricoles (tiges végétales non utilisées). On travaille enfin parfois avec les communautés pour la réduction de l’utilisation des ressources forestières pour le bois de chauffage, avec par exemple des foyers améliorés. En bordure d’espaces protégés, nous pouvons intervenir en partenariat avec des ONG de conservation de la faune sauvage, pour permettre aux personnes de développer des activités pérennes, alternatives à la chasse des espèces sauvages. En Amérique centrale et du Sud, il y a aussi tout un travail à réaliser avec les autorités pour l’accès des populations indigènes au foncier agricole et sa préservation.
À quoi sert l’agroécologie ?
L’agroécologie, ce sont des pratiques agricoles qui sont respectueuses et s’inspirent des fonctionnements naturels des écosystèmes. Pour l'AVSF, cela se joue à l’échelle de la parcelle − avec le développement de techniques agricoles telles que la couverture permanente du sol (qui évite l’érosion et épargne les besoins hydriques), l’association des cultures pour fixer l’azote ou lutter contre les ravageurs, la préparation d’engrais ou produits phytosanitaires non chimiques, etc. −, mais aussi à deux échelles plus vastes. Celle du territoire, via une synergie entre différentes activités autour du cycle local du carbone (en valorisant les excréments d’élevages pour des cultures agricoles proches par exemple) et, plus largement, à l’échelle du système agricole et alimentaire. Il s’agit de défendre une agriculture à taille humaine, qui permet aux producteurs d’en vivre, avec une alimentation localisée, moins dépendante en intrants (aliments pour animaux, produits phytosanitaires, engrais et semences).
Il faut savoir que les pays du Sud ne sont pas de gros émetteurs de gaz à effet de serre, mais subissent de plein fouet le changement climatique. Nous cherchons à développer leur résilience face à cet aléa.
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