Les risques psychosociaux pouvant conduire à une dégradation de l’état de santé, tant physique que psychique, avec une plus forte prévalence des conduites addictives, sont nombreux : ils concernent globalement un travailleur sur quatre. En premier lieu, le stress au travail, déséquilibre entre les efforts fournis et les récompenses obtenues. « Nous nous sommes intéressés à un autre risque psychosocial : la demande émotionnelle au travail. Il s’agit d’un risque lié à l’exposition professionnelle au public (patients, clients, étudiants, usagers). Cela peut nécessiter de neutraliser ses propres émotions, faire face à des réactions hostiles voire agressives ou montrer des émotions différentes de celles qu’on ressent. Autant d’éléments constituent une demande émotionnelle particulièrement intense », explique le Dr Guillaume Airagnes, psychiatre-addictologue à l’hôpital Européen Georges Pompidou et chercheur à l’Inserm. Cette situation est de plus en plus fréquente, vu l’augmentation des personnes travaillant dans le secteur tertiaire.
Binge drinking et dépendance
Une étude s’est intéressée aux associations entre l’intensité de la demande émotionnelle au travail et l’usage de substances psychoactives, notamment l’alcool, parmi une population d’actifs exposés quotidiennement au public dans le cadre de leur activité professionnelle (1). La cohorte Constances, qui inclut plus de 200 000 adultes d’adultes de 18 à 69 ans, a permis d’identifier 10 323 hommes et 13 318 femmes dans cette situation, entre 2012 et 2016, et d’évaluer la fréquence avec laquelle cette exposition était stressante (souvent vs. rarement). Chez les hommes, une forte demande émotionnelle était associée à un risque augmenté de présenter des conduites de binge drinking (plus de 6 verres d’alcool en une occasion) au moins une fois par mois. Chez les femmes, le risque était alors d’avoir une consommation d’alcool hebdomadaire excessive, avec une susceptibilité doublée à la dépendance, et une augmentation de la consommation de tabac et de cannabis.
Dans une autre étude de cette cohorte (2), il a également été montré que la demande émotionnelle était associée à un risque augmenté d’usage chronique de benzodiazépines, chez les hommes comme chez les femmes. Ces relations étaient dose-dépendantes, avec des risques multipliés par 2,3 pour les hommes et par 2,5 pour les femmes chez les travailleurs exposés à la plus forte demande émotionnelle, comparés à ceux pour lesquels l’exposition au public n’était pas stressante.
Dans ces travaux, les analyses étaient ajustées sur le stress au travail, afin d’identifier les relations entre les conduites addictives et la demande émotionnelle elle-même, que celle-ci soit associée, ou non, à une situation de stress au travail. Ces associations étaient retrouvées quelles que soient la catégorie socioprofessionnelle, la symptomatologie dépressive et l’état de santé général.
Un cercle vicieux se met en place
Les relations entre demande émotionnelle au travail et mésusage d’alcool sont transversales. Deux hypothèses non exclusives pour les expliquer : l’alcool peut être utilisé pour mieux supporter le stress ou pour augmenter ses performances au travail ; l’alcool perturbe la qualité des relations au travail, en particulier avec le public, majorant ainsi l’intensité de la demande émotionnelle.
Chez les travailleurs exposés à une forte demande émotionnelle, le repérage des conduites addictives devrait avoir lieu le plus précocement possible afin d’éviter l’entrée dans un tel cercle vicieux. Et les interventions visant à réduire l’intensité de la demande émotionnelle au travail devraient comporter des éléments d’information et de prévention du mésusage de l’alcool. Les travailleurs vulnérables pourraient se voir offrir des interventions plus spécifiques pour réduire leur usage d’alcool lorsqu’il existe une demande émotionnelle importante.
Entretien avec le Dr Guillaume Airagnes (Paris) (1) Airagnes G et al. PloS one 2018;13(5):e0196330 (2) Airagnes G et al. Am J Public Health. 2018 Nov 29:e1-e7
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