Aymeric Dopter* : « Médicaments et compléments alimentaires ont des vocations très différentes »

Publié le 15/02/2019
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L’Académie de pharmacie dénonce le glissement des compléments alimentaires
vers le médicament. Partagez-vous ce constat ?

Aymeric Dopter : Effectivement, la proximité des compléments alimentaires avec les médicaments est indéniable, tant par leur forme galénique que par leurs points de vente. En pharmacie, les uns côtoient souvent les autres, au risque d’une confusion et d’une banalisation du complément alimentaire qui aurait tendance à passer pour un médicament sans risque. De plus, comme le pointe l’Académie de pharmacie, avec les dérivés hydroxyantracéniques une même plante peut être utilisée à la fois à des fins médicales et dans un contexte alimentaire, donc la limite entre les deux est assez floue. Pour autant, trouver une plante à visée laxative dans un complément alimentaire ne va pas en faire d’office un médicament. Tout dépend de la dose, des conditions d’utilisation et de la destination du produit.

Il ne faut pas oublier que médicament et complément alimentaire ont des vocations très différentes : l’un est destiné à soigner, l’autre est à visée purement nutritionnelle.

À quel niveau l’Anses* intervient-elle dans l’évaluation des compléments alimentaires ?

A. D. : Notre mission est d’alerter les pouvoirs publics sur le risque que peut présenter la consommation de certaines substances. Contrairement à l’ANSM pour le médicament, nous n’intervenons pas en amont de l’enregistrement du produit, mais uniquement en aval lorsque nous identifions un effet indésirable ou si nous sommes saisis sur un point particulier. On pourrait bien sûr imaginer une évaluation préalable, mais tous les mois plus de mille dossiers de nouveaux compléments alimentaires sont déposés auprès de la DGCCRF. Cela nécessiterait des capacités d’expertise qui dépassent celles que nous avons actuellement.

S’agissant des 540 plantes autorisées à être formulées dans les compléments alimentaires en France, l’Anses a créé un groupe de travail dédié, afin d’analyser chacune d’elles. Mais la démarche est compliquée car il n’y pas une plante ni un complément alimentaire qui provoque un effet indesirable à coup sûr. Il y a une variabilité de réactions d’un individu à l’autre et de nombreux facteurs peuvent intervenir, comme le dosage de la substance dans le produit, la façon dont elle est extraite, la partie de la plante utilisée, etc. Sans parler des interactions potentielles avec les médicaments.

D’où l’importance de la nutrivigilance ?

A. D. : Ce sont en effet les signalements de nutrivigilance qui nous permettent de déclencher une expertise et de mettre en évidence un lien de causalité entre la consommation d’un complément alimentaire et la survenue d’effets indésirables. Les professionnels de santé connaissent mal le dispositif de nutrivigilance et déclarent peu. Faute de signalements suffisants pour déclencher une alerte, certains effets délétères passent sous les radars. Pourtant, en cas de doute, il ne faut pas hésiter à faire une déclaration (nutrivigilance@anses.fr)ni à nous solliciter pour savoir si l’effet indésirable observé a déjà fait l’objet d’une déclaration.
Depuis la création du dispositif de nutrivigilance en 2009, nous avons reçu 4 070 signalements, dont 1 939 concernaient un complément alimentaire contenant une plante. Mais seuls 569 d’entre eux étaient suffisamment documentés pour pouvoir être exploités.

* Chef d’unité adjoint de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail)


Source : lequotidiendumedecin.fr