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Dossier

Vaccination

Il y a 100 ans, la grippe espagnole : un système de santé déjà débordé

Publié le 08/10/2018
Il y a 100 ans, la grippe espagnole : un système de santé déjà débordé

grippe espagnole
PHANIE

La grippe de 1918 n’avait d’espagnole que le nom, car elle provenait d’une souche porcine H1N1 asiatique, et s’était sans doute d’abord déclarée dans plusieurs casernes américaines, avant de traverser l’Atlantique avec les soldats de l’Oncle Sam.

Une première vague, au printemps 1918, passa relativement inaperçue, mais elle reprit de plus belle à l’été, et surtout à l’automne 1918, où son pic fut atteint. Enfin, une troisième vague, moins meurtrière, sévit encore de janvier à mars 1919. Elle toucha majoritairement des personnes âgées de 20 à 39 ans en épargnant les « âges extrêmes ». En France, c’est dans le Sud-Est qu’elle frappa le plus.

Du rhum et de la quinine

Dans un premier temps, les autorités tentèrent de rassurer la population en minimisant l’ampleur du mal, allant même jusqu’à affirmer qu’il ne frappait… que les Allemands. Des  mesures prophylactiques, basées avant tout sur l’isolement, furent mises en place avec plus ou moins d’efficacité. On conseillait, même en été, à la population de bien se couvrir et d’éviter les lieux publics.

À partir de septembre, écrit l’historien Pierre Darmon, les personnels de santé sont débordés par la maladie, et certains médecins apposent des affichettes indiquant qu’il leur est impossible de visiter de nouveaux clients, tandis que les hôpitaux refusent des malades.

De même, poursuit-il, « les pharmacies sont prises d'assaut, il faut piétiner plus d'une heure pour se faire servir et la confection des ordonnances demande un délai de 24 heures. La quinine, l'huile de ricin, le formol, l'aspirine et le rhum, qui fait l'objet d'une scandaleuse spéculation, sont en rupture de stock ». Quelque 500 hectolitres de rhum, considéré avec la quinine comme l’un des remèdes les plus efficaces, sont mis en vente, sur ordonnance, dans les pharmacies parisiennes.

Certains journaux publient des traitements miracles, comme celui du « Petit Parisien » du 26 octobre, entraînant une ruée dans les pharmacies. Sa confection, détaille Pierre Darmon, ne comporte pas moins de 13 étapes et un nombre faramineux d'ingrédients : aspirine, citrate de caféine, cryagémine Lumière, benzoate de soude, Terpine, en tout une vingtaine de produits auxquels s'ajoutent des tisanes d'orge, de chiendent, de queues de cerises… Des médecins et les pharmaciens protesteront contre ces soi-disant remèdes farfelus, au coût exorbitant.  

Un diagnostic difficile

Comme l’a écrit le Pr Jean Guénel (1) à partir des comptes rendus médicaux de l’époque, la maladie commençait de façon très classique, après une courte incubation de 24 à 48 heures, par une hyperthermie brutale atteignant souvent 40 °C ou plus, des céphalées, des courbatures, des frissons et une rhinopharyngite. Les formes bénignes se limitaient à ces symptômes. Mais pour d'autres patients, des manifestations pulmonaires graves s'installaient rapidement, parfois même avant les signes typiques de la grippe, ce qui rendait le diagnostic difficile. C'était un tableau de dyspnée aiguë due à une broncho-pneumonie, une pneumonie lobaire ou une pleurésie, entraînant une cyanose intense, souvent un syndrome asphyxique qui nécessitait le recours à l'oxygène. S'y ajoutaient des signes généraux, tachycardie, hypotension, parfois des manifestations digestives, comme un syndrome dysentérique, qui fit évoquer à certains une association avec le choléra. Une atteinte rénale sévère, des signes cérébraux, somnolence ou délire, étaient fréquents.

Un virus identifié 15 ans plus tard

L'ignorance de la cause de la maladie, - le virus de la grippe ne sera formellement identifié qu’en 1933 - rendait illusoire toute thérapeutique. Cependant, poursuit-il, les médecins avaient recours à divers médicaments dont ils attendaient au moins une amélioration symptomatique : « fébrifuges comme la quinine, l'antipyrine, parfois déjà l'aspirine ; le sulfate de strychnine, la caféine, la spartéine, l'adrénaline comme stimulants du cœur. Les sels métalliques, l’or colloïdal, les sels d'argent (collargol), l’huile de camphre, voire les abcès de fixation par injection de térébenthine, crédités de vertus anti-infectieuses. Dans les complications pulmonaires on utilisait la révulsion, les badigeonnages iodés, les sinapismes à la moutarde, les ventouses sèches ou scarifiées, enfin la saignée et l'oxygène étaient les derniers recours en cas d'œdème pulmonaire et d'asphyxie… » De plus, beaucoup de médecins placèrent leurs espoirs dans la mise au point rapide d’un vaccin, annoncée plusieurs fois mais jamais confirmée.

À côté de millions d’anonymes, nombre de célébrités comme Edmond Rostand, Guillaume Apollinaire, les peintres Gustav Klimt et Egon Schiele seront victimes de la grippe espagnole… elle-même longtemps enfouie sous les souvenirs des derniers mois de la Grande Guerre. Elle suscite, depuis quelques années, un intérêt croissant, qui s’attise encore à chaque annonce d’une nouvelle flambée grippale, surtout si des souches H1N1 en sont à l’origine…