Entretien avec la responsable du Centre national de référence à l'Institut Pasteur 

Pr Sylvie van der Werf, : « On s'attend à de nouvelles pandémies »

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Publié le 08/10/2018
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Van Der Werf

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Crédit photo : AFP

LE QUOTIDIEN : Cent ans après la grippe espagnole de 1918, la grande tueuse reste inscrite dans les mémoires. Au XXIe siècle, est-il encore raisonnable de craindre une pandémie de cette gravité ?

Pr SYLVIE VAN DER WERF : On ne peut exclure ce scénario. C'est clair que l'on s'attend à de nouvelles pandémies, comme cela a été le cas en 2009, même si on ne sait pas du tout prédire quand, ni l'ampleur ni la sévérité. En effet, on n'est pas à l'abri qu'un virus influenza circulant chez un animal domestique tel que le porc franchisse la barrière d'espèce, comme cela s'est produit en 1918, en 1957 et en 1968. 

Aujourd'hui, la circulation des personnes est plus rapide et plus importante. Ce phénomène a un impact direct fort sur la vitesse à laquelle un virus se diffuse dans le monde. Si la thérapeutique, en particulier les antibiotiques pour traiter les co-infections bactériennes, est bien meilleure qu'en 1918, les moyens disponibles ne sont pas égaux selon les territoires. En cas de pandémie grave, les services de soins intensifs peuvent se retrouver très vite débordés, dès lors qu'il existe déjà des tensions en cas d'épidémie saisonnière. La réponse organisationnelle du système de soins relève du politique. 

Quels sont les rouages essentiels pour que la surveillance de la grippe s'effectue correctement ?

Le virus de la grippe circule et mute en permanence à travers le monde. La surveillance de la grippe humaine ne peut se concevoir en dehors d'un système mondial. Les données des pays remontent vers les centres mondiaux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) : Londres, Atlanta, Melbourne, Tokyo, Pékin. Cette surveillance permet de définir la composition vaccinale 2 fois par an.  

Au niveau national en France, le centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires s'occupe de la surveillance du virus de la grippe avec différents réseaux : le réseau Sentinelles auprès des médecins généralistes et des pédiatres en ville, le réseau des hôpitaux, le réseau correspondant de Santé publique France (SPF) auprès de SOS médecins ou encore des EHPAD (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). 

C'est le croisement de l'ensemble de ces données qui permet une vision complète de l'épidémie. L'Institut Pasteur est le centre coordonnateur du CNR de la grippe, les deux centres associés étant basés à Lyon et à Cayenne. En période de surveillance active, d'octobre à avril, c'est-à-dire lors de la mise en place de prélèvements systématiques par le réseau Sentinelles, le CNR fait un point hebdomadaire avec SPF et le réseau Sentinelles sur des items précis, comme l'incidence, l'analyse virologique, les hospitalisations, la mortalité, etc.   

Qu'est-ce qui pourrait mettre en difficulté le système de surveillance ? Comment peut-on s'en prémunir ?

 Lors d'une pandémie, tout le monde est en suractivité. C'est le temps qui manque le plus. À notre niveau au CNR, il faut faire en sorte de ne pas être embolisé par des prélèvements tous azimuts. L'articulation avec les laboratoires hospitaliers est essentielle de sorte qu'ils soient en capacité de faire le diagnostic rapidement. C'est la responsabilité du CNR de diffuser les méthodes diagnostiques pour détecter le nouveau virus au quotidien. 

Quant à la remontée et la collecte des données, le plus efficace n'est pas de mettre en place un circuit particulier, mais de s'appuyer sur les mêmes circuits qu'en période inter-pandémique, selon exactement la même routine. Tout ce qui fonctionne en temps normal, c'est de l'acquis pour les situations sous tension. 

À l'échelle mondiale, le système de circulation de l'information peut être freiné par les disparités du système de soins entre les pays. De plus, le transport de matériel biologique entre les pays est une autre difficulté car les délais d'expédition retarde les échanges scientifiques. 

Il existe des moments charnières dans l'implémentation de certaines mesures. La prise de décision n'est pas toujours facile en temps et en heure. C'est le cas notamment pour la transition entre survenue répétée de cas d'importation et instauration d'une circulation sur le territoire. À partir de quel seuil faut-il passer d'une surveillance au cas par cas à une surveillance plus généralisée ? Cette articulation-là n'est pas toujours évidente sur le moment. 

Quelles leçons avez-vous tiré du passé et notamment de la pandémie de 2009 ?

Les pandémies ne se ressemblent pas. On a beaucoup appris de la pandémie de 2009 comme des épisodes du SRAS, de la grippe aviaire H5N1, mais il existe toujours des spécificités.

Concernant l'épisode de 2009, il s'agissait bien d'une pandémie et ce n'était pas une « grippette », contrairement à ce qui a pu être dit. Il s'agissait d'un virus nouveau que la majorité de la population n'avait pas rencontré. L'impact n'a pas été aussi important que ce qui avait été craint au départ. Et cela peut s'expliquer par les différences de contexte socio-démographique selon les pays.

Au démarrage, des signaux en provenance du Mexique indiquaient une surmortalité non négligeable chez les adultes jeunes, comme lors de la pandémie de 1918. Par la suite, les données du reste du monde se sont avérées moins inquiétantes. Il est apparu qu'une partie de la population, notamment les personnes âgées, avait une immunité de fond suite à la rencontre du virus de 1918 ou de l'un de ses descendants.

En 2009, les vaccins ont été mis à disposition quand la vague épidémique était quasi passée. Il y a des temps incompressibles de mise à disposition des souches vaccinales dans des délais rapides pour la production industrielle. Ceci souligne l'importance des  systèmes de surveillance et de circulation de l'information au niveau mondial, qui ont fait de nets progrès depuis.  

Propos recueillis par le Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9692