« Il y a 10 ans, les ruptures de stocks étaient exceptionnelles, 2 à 3 fois par mois. Aujourd'hui, les signalements sont quotidiens et les épisodes de tensions de plus en plus long. Ils peuvent même durer plusieurs années. »
Le constat du Pr Pascal Paubel est alarmiste. Pour ce pharmacien de l'Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS) de l'Assistance publique - Hôpitaux de paris (AP-HP), la hausse des signalements a été amorcée il y a quatre ans, puis s'est accélérée en 2017 et ne ralentit pas en 2018.
Sur le fil du rasoir
« Aucun décès ou incident grave causé par la non-disponibilité d’un médicament n'a été signalé pour l'instant, précise le Pr Paubel, mais nous sommes sur le fil du rasoir ! Nous ne sommes pas à l’abri que cela se produise dans les années à venir si la situation continue à empirer. »
Aux États-Unis, entre 2008 et 2013, des épisodes successifs de pénurie de phényléphrine, un vasopresseur majeur en réanimation, ont fait passer la mortalité des patients admis en soins intensifs et victimes d'un choc septique de 35,9 à 39,6 %.
En matière de rupture de stock, les vaccins sont un cas d'école. Ils ont connu plusieurs épisodes de pénurie majeure ces quatre dernières années : rupture d'approvisionnement du vaccin contre l'hépatite A due à un incident de fabrication ; rupture de stock de vaccins à valence coquelucheuse causée par une augmentation de la demande. Quant à l'approvisionnement en BCG, il est toujours perturbé par l'arrêt de production par le Statens Serum Institut danois. « D'une manière globale, l'industrie travaille à flux tendu et ne fait pas toujours preuve de transparence. Les causes des ruptures de stock ne sont pas toujours très claires », affirme le Pr Daniel Floret, membre de la commission technique des vaccinations de la Haute autorité de santé (HAS).
Éthique et responsabilité
La mission d'information du Sénat sur les pénuries de médicaments et de vaccins vient de formuler 30 propositions pour inverser la tendance. Un des objectifs est d'améliorer la transparence : mise en place d'une plate-forme d'information centralisée sur le modèle du « DP-Ruptures », publication des plans de gestion des pénuries mis en place par les industriels, historique des pénuries passées…
D'autres dispositions visent à promouvoir une résolution des difficultés à l'échelon européen grâce à des achats groupés de vaccins dans l'UE, la création d'un statut européen spécifique pour certains médicaments anciens critiques, une réglementation harmonisée ou une meilleure communication. « Certains industriels sont passés à une culture de marchandise. Le médicament est un produit comme un autre qui doit aller vers le marché le plus offrant. La question de l'éthique de ces laboratoires est posée, analyse le Pr Marie Vidailhet, coordinatrice du centre expert Parkinson de la Pitié Salpêtrière (AP-HP). En outre, ils ne sont plus tenus responsables des épisodes de tensions. »
Si le rapport sénatorial insiste sur le devoir de responsabilité et d'éthique dans la distribution pharmaceutique – avec un cortège de contrôles, de réglementations des surfacturations et de sanctions financières en cas de non-approvisionnement du marché français – toutes les mesures ne sont pas à charge contre les industriels. La politique de la carotte est aussi à l'honneur avec des exonérations fiscales et des aides à l'embauche visant à favoriser l'implantation de sites de production en France. Le Sénat suggère aussi de renégocier les prix des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur anciens mais indispensables sur lesquels les marges sont jugées trop faibles.