Entretien avec le Dr Alain Mercuel (1)
LE DR ALAIN Mercuel en est convaincu : la loi Hôpital, patients, santé, territoire (HPST), votée en 2009, a singulièrement compliqué l’organisation de la psychiatrie hospitalière. « Cette loi a d’abord donné l’idée qu’une certaine démocratie sanitaire allait envahir les services hospitaliers. Plusieurs enquêtes intersyndicales ont, depuis, montré que cela n’avait pas été le cas », souligne, en préambule, le président de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (IDEPP). Mais son point le plus problématique, selon le Dr Mercuel, a été la refonte de l’organisation hospitalière, avec la création de grands pôles multidisciplinaires. « Cela a entraîné le rattachement des services de psychiatrie à d’autres spécialités selon une logique qui, dans bien des cas, n’est pas apparue toujours cohérente. D’un hôpital à l’autre, la situation est très variable. Dans certains endroits, des services de psychiatrie ont été regroupés entre eux, ou avec la pédopsychiatrie. Mais dans d’autres, ils ont été rattachés aux urgences ou à la gérontologie par exemple », constate le Dr Mercuel.
Le poids des salaires par rapport aux médicaments.
Sans compter que cette réorganisation a parfois pénalisé les services de psychiatrie, avec des ponctions sur leurs effectifs : « avec la constitution de ces pôles, et ce, bien souvent, contre l’avis des commissions médicales d’établissement (CME), la psychiatrie sert parfois de vivier en personnel aux autres disciplines. En effet, les seuls véritables moyens dont dispose la psychiatrie pour traiter les patients, c’est l’humain. Les médicaments ne représentent finalement que peu de chose dans notre discipline, sur un plan financier, par rapport aux salaires du personnel. Or, quand il manque du personnel au niveau d’un pôle, on trouve parfois bien pratique d’aller chercher du personnel là où il y en a, c’est-à-dire en psychiatrie. Et ce déplacement revient immanquablement à affaiblir les services de psychiatrie », souligne le président de l’IDEPP.
Pôles et structures.
Le périmètre de ces pôles est une autre source d’interrogations. « Avec cette loi, la notion de services n’existe plus. Il faut des structures internes et les pôles sont des associations de ces structures. Ce qu’ont voulu faire avancer un certain nombre de psychiatres, c’est l’idée qu’un pôle doit pouvoir représenter un secteur de psychiatrie. En suivant cette logique, on peut faire, au sein d’un même pôle, deux structures internes : une structure intra-hospitalière et une extra-hospitalière. Certains d’entre nous ont même opté pour regrouper plusieurs secteurs au sein d’un même pôle pour pouvoir mutualiser un certain nombre de moyens, explique le Dr Mercuel. On voit bien que, sur un plan idéologique, cette idée de « un pôle – un secteur » est intéressante. Mais, le problème : ce n’est pas toujours ce schéma qui a été privilégié. Dans le contexte économique actuel, on se rend compte aussi qu’il n’est pas facile de mutualiser des moyens ».
Mandarinat économique.
Autre point d’inquiétude : il est difficile de construire des projets entre des secteurs qui appartiennent à des pôles différents. Selon le président de l’IDEPP, cette loi HPST a eu un impact négatif sur la psychiatrie hospitalière publique : « beaucoup d’acteurs ont eu l’impression d’être déconnectés des décisions par rapport aux investissements, aux délégations, aux formations. C’est comme s’il y avait eu une rupture du contact avec les directeurs d’hôpitaux », souligne-t-il, en dénonçant la montée d’une sorte de « mandarinat économique », fort mal vécu au sein des équipes hospitalières et soignantes.
Au moment de la discussion du projet de loi, de nombreux médecins hospitaliers s’étaient mobilisés, allant jusqu’à descendre dans la rue pour dénoncer la volonté de renforcer les pouvoirs des directeurs. « C’est une volonté qui était très clairement exprimée dans le fameux discours d’Antony, de Nicolas Sarkozy », se souvient le Dr Mercuel, qui regrette également le fait que les praticiens hospitaliers ne soient plus nommés par le ministre, ce qui est toujours le cas des directeurs. « C’est une évolution qui nous a fait perdre une partie de notre indépendance vis-à-vis des directeurs », estime le Dr Mercuel.
(1) Président de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (IDEPP).
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