La gestion d’une maison de santé oblige souvent les généralistes à se poser la question de la mission de coordination. Tandis que certains professionnels se répartissent les tâches, d'autres font appel à des coordinateurs professionnels, formés à cette fonction. Et s'il n'existe pas de modèle type, tous s'accordent sur une chose : le coordinateur est un maillon essentiel au bon fonctionnement des structures.
Exercer en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), c’est travailler en équipe, mettre ses compétences en commun et mieux gérer les soins non programmés. Mais c’est aussi enchaîner les réunions, concertations et autres briefings. Car l’exercice coordonné requiert, justement, de consacrer du temps et des ressources à la coordination des professionnels. Voilà qui n’est pas forcément inscrit dans l’ADN de tous les généralistes, dont beaucoup ont choisi l’exercice libéral par goût de l’indépendance. Le président de la République ayant annoncé sa volonté d'en finir avec l’exercice isolé d'ici à 2022, les professionnels vont cependant devoir plonger leurs mains dans le cambouis de la coordination… de gré ou de force.
La première chose à faire est de définir ce qu’est la coordination. « Il y a plusieurs volets », avertit Edwige Genevois, coordinatrice de deux MSP en Saône-et-Loire et responsable de la commission « coordinateurs » d’AVECsanté, l'ex-Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS). « Il y a d’abord la gestion administrative de la structure : la comptabilité, les ressources humaines, etc. Il y a aussi le travail d’organisation et d’animation des réunions entre professionnels, de rédaction des comptes-rendus, etc. À cela s’ajoutent le management de projet, notamment pour les actions de santé publique, la gestion du système d’information, et la partie qualité (bilans d’activité, enquêtes de satisfaction, etc.). »
Coordonner, d’accord, mais qui doit le faire ?
Voilà qui représente chaque semaine des heures voire des jours de travail. La question est donc de savoir qui doit se charger de ces tâches. « Il y a des équipes où un ou plusieurs professionnels de santé vont faire un bout de coordination après leurs consultations », constate Edwige Genevois. « D’autres confient des responsabilités supplémentaires aux secrétaires. Et il y a ceux qui préfèrent s’adresser à un coordinateur professionnel, formé pour cela. » La responsable d’AVECsanté, elle-même coordinatrice professionnelle salariée, ne cache pas sa préférence pour la dernière solution.
Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Le Dr Pierre de Haas, ex-président de la FFMPS, en a fait l’amère expérience. Il avait en 2017 monté une structure baptisée Espage, qui proposait de prendre en charge l’ensemble de la gestion d’une MSP. « Ça s’est terminé un peu tristement », regrette le généraliste de Pont-d’Ain. « Beaucoup de MSP ont reculé quand nous avons annoncé les prix. Nous avons cherché des investisseurs, mais ils ont pensé avec raison que les professionnels de santé libéraux avaient beaucoup de difficultés à investir dans leur outil de fonctionnement », témoigne-t-il.
Le Dr de Haas estime tout de même qu’Espage a au moins eu le mérite de prouver que l’idée d’une gestion extérieure des MSP était possible. « Je suis d’ailleurs un peu songeur quant à l’avenir de la médecine libérale si on n’arrive pas à mettre cela en place », ajoute-t-il. Il lui semble en effet aberrant de voir un médecin gérer des contrats ou de la comptabilité, « alors qu’il est bac + 9 ». « Dans le monde de l’industrie, on voit partout les gens se recentrer sur leur métier », argumente-t-il. « Et cela doit être la même chose en médecine. »
Jamais mieux servi que par soi-même ?
Côté financement, les MSP reçoivent de l’Assurance maladie, en vertu d’un accord conventionnel interprofessionnel (ACI), des fonds dédiés. Mais toutes les structures ne choisissent pas de les employer à rémunérer un coordinateur extérieur. À la MSP du Jardin des Orantes, au Vigan (Gard), les professionnels ont par exemple décidé de confier ces tâches à une secrétaire. « Elle a un temps de coordination dédié, environ une dizaine d’heures par semaine », détaille le Dr Antoine Brun d’Arre, co-fondateur de la structure. Mais il ne s’agit pas pour le généraliste de tout déléguer à cette coordinatrice. « Elle effectue ces tâches sous la responsabilité d’un professionnel de santé, il est important que nous continuions à comprendre ce qui se passe », explique-t-il.
À la MSP Philippe-Marze des Mureaux, dans les Yvelines, c’est une option légèrement différente qui a été choisie. « Nous nous sommes réparti les tâches entre professionnels de santé », explique le Dr Marie-Hélène Certain, membre de la MSP et par ailleurs ex-secrétaire générale du Collège de médecine générale. « Une personne s’occupe de la gestion financière et de la comptabilité, une autre au sein du secrétariat nous soulage sur les relations fournisseurs et l’organisation du travail, un autre collègue médecin s’occupe de toute la partie système d’information… », détaille la généraliste. Une seule tâche a été confiée à une coordinatrice professionnelle qui vient à la MSP une fois par semaine : la question de l’animation du projet de santé. « Elle fait le planning des réunions, invite les participants, réalise le dossier ACI, c’est un gros boulot », explique le Dr Certain.
Un métier d’avenir
Reste que la solution qui consiste à internaliser, même partiellement, la fonction de coordination, peut poser certaines difficultés. « On voit dans certaines structures des coordinateurs qui ont des formations spécifiques [voir interview, NDLR], ce qui leur donne un atout important pour monter les dossiers », constate le Dr Antoine Brun d’Arre. « De notre côté, nous voyons bien que nous sommes un peu limités sur cet aspect ». Le Cévenol cite notamment le projet de création d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), pour laquelle son équipe aurait besoin de compétences supplémentaires. La fonction de coordination devrait en effet prendre une autre dimension ces prochaines années avec la multiplication de ces organisations territoriales de professionnels. Malheureusement, les aides financières de l'Assurance maladie pour les CPTS sont insuffisantes pour recruter un coordinateur, regrette le Dr Brun d'Arre.
Mais la question du financement doit pouvoir être dépassée. C’est du moins ce que pense Pierre de Haas. « Le métier de coordinateur est un vrai métier, et il faut le voir comme un investissement », estime-t-il. « Un coordinateur peut aller chercher les financements, sait comment augmenter les fonds ACI, comment encourager les professionnels de santé… ». Attention cependant à ne pas voir le coordinateur comme le directeur de la MSP. « Il n’y a pas de patron dans une MSP », rappelle Edwige Genevois. « Ce sont des libéraux qui travaillent ensemble à une meilleure prise en charge, on est donc dans un management très participatif, une forme de leadership partagé ». Coordonnés, mais pas subordonnés !