“Quoi que nous fassions près de 9 000 patients seront en réanimation à la mi-novembre, soit la quasi-totalité des capacités françaises.(…) Si nous ne donnons pas un coup de frein brutal aux contaminations aujourd'hui, nos hôpitaux seront saturés… nos médecins devront choisir entre un accidenté de la route ou entre deux malades du Covid. C’est inacceptable”. Le Président Macron relance le 28 octobre 2020 la mise en quarantaine de la France. Le reconfinement est fixé sur le dénominateur commun du nombre de lits de soins intensifs. Pas de lit : on confine. Le message est clair.
Les rapports entre la vie et la mort ont bien changé en seulement un siècle. La grippe espagnole de 1918-2019 a fait 400 000 morts en France. C’est à peine si on l’évoque dans les livres d’histoire. Aujourd’hui, la mort est un sujet tabou. L’euthanasie de malades incurables est inconcevable. La vieillesse et le maintien en vie à tout prix reposent sur une médecine moderne toujours plus complexe et coûteuse. Les fins de vie ne sont plus acceptées. Il semble qu’il faille attendre d’être un légume en EHPAD pour que le décès soit toléré.
La société se doit d’être heureuse. Ce bonheur, état d’absence de contrainte ou nuisance, nous enlève paradoxalement notre libre arbitre. Quand on décide pour nous, c’est le chemin vers l’infantilisme. Ne plus assumer ses actes, ne plus lutter, ne plus souffrir devant les difficultés, ne plus connaître l’échec, donne l’impression du bonheur. Plus de contrainte, ni d’effort ! C’est ça maintenant la France ?
C’est toute l’opposition entre les pays latins et les pays protestants du nord de l’Europe. En Suède, pays décrié par les médias, chacun est mis devant ses responsabilités. Pas de masques ni fermetures de commerces. Pourtant, au 6 novembre 2020, ce pays ne connaît pas plus de morts du Covid par habitant, comparé à la France. 58,3 décès pour 100 000 habitants en France, 57,4 pour 100 000 en Suède (statista)
Le monde occidental concentre une population âgée en mauvaise santé, maintenue en vie grâce aux miracles de la médecine moderne et de ses longues listes de traitements, dans laquelle taille allègrement le Covid. Au 2 novembre 93 % des malades décédés en France, avec un âge médian à 84 ans, pratiquement l’espérance de vie actuelle en Europe… Troublante coïncidence… Le vieillissement de la population est la première raison de la surmortalité au Covid de nos pays par rapport au tiers-monde.
Ce germe ne fait pas exception aux autres virus respiratoires, il augmente avec l’approche de l’hiver. Les nouveaux patients positifs que je vois sont jeunes et peu symptomatiques. Au bout d’une semaine d’isolement ils reprennent leur activité. Sauf exception, c’est une maladie grave pour les mal portants et les vieux, les jeunes m'ont bien compris. Une étude anglaise (NHS) montre qu’il existe 60 fois plus de chance que la moyenne de développer une forme grave après 70 ans.
Sauver tout le monde à tout prix ?
Depuis la première vague, la physiopathologie mieux connue du virus, avec entre autres, le traitement sous cortisone des aspects de vascularite, a permis de diminuer la durée des séjours et baisser la mortalité en soins intensifs, de 57 % en mars à 19 % en octobre 2020 (Santé Publique France, DREES). Moins d’intubations et sédation artificielle. Les soins s’améliorent. Début novembre 2020, 77 % des lits de réanimation sont occupés par des malades de plus de 65 ans (sante.jdf). On doit pouvoir diminuer l’accès en réanimation des personnes âgées. S’adapter par nécessité et pragmatisme. Transférer les patients Covid âgés dans des lits de soins non intensifs devrait se faire spontanément en cas de pénurie de lits de réanimation. Même dans ces conditions, leurs chances de guérison sous oxygène et cortisone seront infiniment supérieures à celles qui prévalaient en 1919 pendant la grippe espagnole. Macron doit aller au bout de sa logique de « guerre » : dans un pays en guerre s’exerce une médecine de triage où l’on privilégie les blessés soignables au détriment des moribonds.
Les Ephad et maisons de retraite envoient encore une partie de leurs malades à l’hôpital. Il convient de garder sur place tous les patients, sous oxygène et traitement médical. Sauver à tout prix des patients très diminués et âgés dont la moitié n’ont plus de raison ni de goût de vivre n’a aucun sens. Gérer l’accès en réanimation en discriminant l’accès selon l’âge permet d’éviter une saturation du service. Oui il est humain, car raisonné et dans l’intérêt de notre avenir, de privilégier les soins aux personnes plus jeunes et actives. Oui M. Macron l’accidenté de la route doit passer devant le Covid âgé. C’est douloureux mais nécessaire.
A quoi sert de dramatiser ?
Il ne sert à rien de dramatiser ou théâtraliser le Covid. La « guerre » de Macron n’est qu’une « crise » pour Merkel. De toute évidence, le Covid ne peut être durablement contenu. Il est possible de revenir à une vie plus normale, maîtriser nos peurs, apprendre à être prudent et responsable, rouvrir les commerces et la plupart des activités. L’important est l’avenir. N’oublions pas que la grippe espagnole de 1919 touchait, elle, surtout les populations jeunes. Ces solutions paraissent inhumaines ? Elles doivent pourtant prévaloir, dans la mesure du possible. La réflexion domine l’émotion. Un père se sacrifie toujours pour son fils. C’est dans ce sens que nous sommes véritablement humains. Et raisonnables.
N’oublions pas que le plus dur reste à venir. Le véritable danger est celui d’une mutation du virus le rendant plus dangereux. Un organisme en pleine expansion cherche à investir de nouvelles niches. Il faut s’y préparer. En s’immunisant au plus vite. Et garder l’espoir.
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Exergue : Oui, il est humain de privilégier les soins aux personnes plus jeunes et actives.
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