Mon cher confrère, en réponse à votre courrier du 16 octobre 2020 (« Liberté d’installation: arrêtons de prendre les médecins pour cible » : texte du Dr Pierre Frances) où vous me mettiez en cause, je vous réponds. Aujourd’hui 9 millions et bientôt 11 millions de patients n’ont plus de médecin traitant; ils habitent dans ces fameux « déserts médicaux », où sévit la surmortalité. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que dans 1/3 des départements Français vivent 9 et bientôt 11 millions de « SDF de la médecine » qui, dans les bons cas , munis d’une ordonnance pour 12 mois et d’une clé USB, vont être ballottés, rejetés par 5 ,10, 15, 40 cabinets médicaux. Ils vont supplier d’être pris en charge. Et leur espérance de vie est réduite tant qu’ils ne retrouveront pas de médecin.
Cela veut dire que les cotisations des uns servent aussi à payer les bons soins des autres. Voire les super soins, si on en croit la Cour des comptes qui se voit facturer 30 % de plus la santé des patients des régions sur dotées... et il en reste ! Cela veut dire qu’un Français en zone sous dotée peut payer en plus du prix de la consultation et par l’impôt, le foncier de la maison médicale, l’agence de recrutement de médecin, mais aussi les salaires des médecins en inadéquation avec les honoraires générés. Cela veut dire que dans 1/3 des départements Français, la Nation ne remplit pas le rôle qui lui revient, de par le préambule de la Constitution : « La Nation garantit à tous …le droit à la santé ».
Pourquoi faudrait-il que ce soit nous médecins qui nous plaignions et de quoi ? Croyez-vous que l’heure soit aux états d’âme, à la recherche de responsabilités comme celle du numerus clausus ou de la féminisation de la médecine, de l’incapacité de l’Ordre à réguler non seulement l’installation des médecins sur le territoire mais aussi les modalités de remplacement quand pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes y arrivent ?
Non, bien sûr que non ! La parole n’est pas ou plus aux médecins, -ce n’est plus le sujet- mais aux patients ! La situation est trop grave ! J’ai lancé une pétition « Déserts médicaux : rejoignez un collectif de patients sans médecin » sur change.org. J’ai écrit à 350 généralistes pour leur demander de se mobiliser et n’ai reçu d’encouragement que d’une poignée et les invectives d’un jeune médecin qui a eu le courage de me répondre. J’ai interpellé en séance pleinière le président du CNOM sur la pénurie médicale et il m’a confirmé son incapacité. Enfin, je constate quotidiennement pendant mes consultations, la dégradation constante de la prise en charge de la santé de mes patients. C’est donc à leur service que je me mets et j’en suis fière !
J’ai rejoint l’Association de Citoyens Contre les Déserts médicaux, une association nationale crée en Mayenne en 2016 et dont les antennes de l’Ouest de la France vont s’étendre dans tous les départements français. L’ACCDM avec tous les maires de toutes les communes de France (épuisés et désespérés de devoir supplier des médecins de daigner venir travailler dans leurs communes...) va enjoindre l’Etat de prendre les décisions qui s’imposent pour réguler enfin (!) le travail des médecins sur notre territoire; et une action en justice va être engagée en leur nom. Avec l’ACCDM, les patients vont réclamer immédiatement des consultations « de rattrapage de soin et de prévention » qui leur sont dues, quand ils n’ont plus de médecin depuis un, deux, parfois cinq ans. Avec l’ACCDM, les patients vont réclamer que les médecins, à l’instar des enseignants, aillent travailler transitoirement à la fin de leurs études dans ces campagnes où ils (ou elles) ne veulent pas vivre et où leur conjoint ne trouvera pas de travail.
Qui peut être choqué de telles revendications ? S’agit-il d’ailleurs de revendications? C’est un droit! Le droit à la santé est un droit égalitaire car notre santé est notre bien le plus cher! La médecine est une profession qui engage… et qui contraint… Ce n’est pas un métier que l’on peut exercer où on veut quand on veut, remplacer à vie... Quel est l’enseignant qui choisit son école ? Quel est le militaire qui choisirait son affectation et son temps de travail ?
Il faut aujourd’hui retrousser nos manches et que tous nous travaillions un peu plus, et pas seulement comme je le vois trop souvent les médecins de 70 ,75 et 82 ans qui reprennent du service pour travailler dans ces maisons pour patients sans médecin, qui ne sont pas en nombre suffisant. Voilà, mon cher confrère, ce qui m’engage, car ce qui se vit dans nos régions sous-dotées est injuste et inacceptable, voilà pourquoi la médiatisation de notre mouvement est essentielle à sa réussite, elle est en marche ! Très confraternellement.
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